Vue d’ensemble

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Sommaire

 

Prologue

Chapitre I : L’activité scientifique de Napoléon Ier

Chapitre II : Protection contre les crues

Chapitre III : Les novateurs

Chapitre IV : Evolution climatique

Chapitre V : Un conte qui pourrait être vrai

Chapitre VI : Les programmes d’ingénierie

 

Prologue

 

Lors de son premier voyage, l’Amiral de la mer océane Christophe Colomb, à bord de la Santa María et suivi de la Pinta et de la Niña, cingla plein sud vers l’Archipel des Canaries, puis  obliqua plein ouest, pour prendre une route parallèle au Tropique du Cancer. Quoique le premier voyage aller fut le plus court de tous, du 3 août au 12 octobre 1492, il parut fort long aux membres de l’équipage, malades et désespérés devant l’inconnu.

Son amiral, qui dissimulait son inquiétude et ses doutes sous une assurance de façade, envisagea en cas de catastrophe, de sauver ses connaissances et ses découvertes. Il prépara soigneusement ses documents, les enferma dans un tonneau, qu’il confia aux hasards de la mer, espérant qu’un jour, celui-ci serait découvert par des Européens, qui feraient fructifier ses connaissances.

La pratique instituée par Christophe Colomb fit des émules et se répandit chez les marins. Après avoir réduit le tonneau aux dimensions d’une bouteille, si possible métallique, moins fragile et plus maniable, cette pratique se développa et on prit l’habitude de confier à la mer une bouteille chargée d’un message en cas de danger extrême. Puis cette pratique propre aux gens de mer s’étendit et se généralisa ensuite symboliquement à d’autres domaines.

Le sujet fut donc repris par la fiction littéraire à l’exemple de Jules Verne, spécialiste de la mer, dans une œuvre en trois volumes, « Les enfants du capitaine Grant ». Alfred de Vigny conçut l’approche autrement que Jules Verne, car par le biais de ses poèmes, il se présenta non comme romancier mais comme penseur. « La bouteille à la mer » contient l’essentiel de son œuvre, surtout philosophique. Je ne prétends pas  posséder l’audace de Christophe Colomb, l’imagination de Jules Verne ou la profondeur philosophique d’Alfred de Vigny. Je me contenterai de lancer ma bouteille à la mer compte tenu de mon expérience.

Je me présente comme un français moyen loin du monde politique. Mais il n’est pas inintéressant qu’un tel français donne son avis, sans pour autant prétendre devenir président.

Le présent document regroupe six chapitres, chacun d’eux approfondissant un thème particulier ventilé en programmes d’ingénierie conformes à la déontologie internationale de la profession. Ce nombre restreint de chapitres peut sembler limité pour le sujet, mais relève en réalité d’un choix délibéré, car il peut servir d’exemple à la réalisation de thèmes similaires.

Cette pratique universelle d’ingénierie montrant sans équivoque le déroulement des différentes étapes  fut refusée par les précédents présidents. Pourtant, la responsabilité présidentielle semble impliquer, outre l’organisation traditionnelle, la mise en place supplémentaire de tels programmes de haut niveau., objet du présent document.

La vie de Napoléon illustre un rythme soutenu de réalisation de programmes d’ingénierie internationaux, nationaux et régionaux. Par contre, un programme par trimestre, à savoir vingt par quinquennat, paraît constituer un choix soutenu mais raisonnable. De plus, un futur président pour être crédible devrait pouvoir en décrire minutieusement la moitié au cours de sa campagne électorale, soit une dizaine.

Le premier chapitre présente un personnage ayant réalisé de grands projets transposables de nos jours après adaptation . Ces projets actualisés sont ensuite approfondis. J’ai choisi pour personnage, Napoléon 1er dans le cadre de son activité scientifique méconnue, ce personnage ayant été simultanément homme d’état et novateur technologique.

Le deuxième chapitre présente un fléau naturel. De nombreux pays, Japon, Italie etc. sont martyrisés par les catastrophes. La France possède son talon d’Achille, les inondations, dont les conséquences dramatiques, mille fois plus de morts que les accidents nucléaires civils au plan mondial, semblent ignorées ou largement minimisées. L’exploitation de ce thème conduit à  la protection contre les crues et aux aménagements de vallées, la ville de Paris étant particulièrement menacée.

Le troisième chapitre s’inspire du premier pour la forme, mais fait appel à des novateurs individuels et collectifs plus modestes et plus récents. Il aboutit à des programmes variés :  projet technique et chantier de grande ampleur ; enseignement des adultes et des enfants ;  protection individuelle des personnes contre les actes terroristes.

Le quatrième chapitre traite l’évolution climatique comme extension de la lutte contre la pollution des eaux de surface lancée par l’ONU en 1960/1970.  Ce projet, s’apparente au  bilan thermique des apports et des déperditions d’un chauffage central d’immeuble et demeure à la portée de n’importe quel potache. Mais les calculs, quoique simples, sont  beaucoup plus longs. Cet avant-projet d’ingénierie (code international) devrait se substituer aux hypothèses de salon actuelles.

Le cinquième chapitre présente sous forme d’un conte une situation angoissante qui pourrait paraître trop pessimiste à priori, mais qui risquerait  de se produire si nos politiciens n’étaient pas compétents et intègres.

Le sixième chapitre reprend les programmes d’ingénierie élaborés dans les précédents chapitres. Il explique ces programmes sous forme d’une liste commentée et en suggère un onzième. Il conclut le chapitre sur le plan technique, puis le document sur une comparaison.

À la suite du présent document, on trouvera un exemple de développement d’un programme  en deux parties, texte et annexes, puis le rappel de l’ensemble des programmes proposés.

Mais il n’est pas interdit à un expert en écologie de procéder à la synthèse de cette science, malgré la connaissance innée des politiciens dans ce domaine. De plus, l’expertise internationale se heurte  sans cesse à la politique. Le lecteur pourra donc puiser pour se documenter dans le menu déroulant à la rubrique « les ouvrages ».

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Chapitre premier

L’activité scientifique de Napoléon 1er

 

Seule une infime proportion de recherches scientifiques trouve un écho dans la presse politico-médiatique, et quand c’est le cas, les décisions éditoriales sont souvent peu motivées par l’importance des travaux entrepris et menés à bien. Le présent programme s’appuie sur les conséquences actuelles de l’activité scientifique passée de Napoléon 1er, activité qui n’a jamais suscité le moindre intérêt, car supposée inexistante ou négligeable contrairement à l’activité militaire et organisatrice débordante de cet empereur.

  • Le cercle de Napoléon

Un poste était vacant à l’Académie des Sciences, section mathématique, mais il fallait pour être nommé démontrer un théorème encore inconnu du prodigieux aréopage qui la composait. Étaient candidats au poste le mathématicien Etienne Lenoir et le Général Bonaparte. Voici le problème proposé et démontré par ce dernier : « Étant donné un cercle dont on ignore le centre, déterminer ce dernier à l’aide du compas seul ».

Une fois la solution matérialisée, il n’était pas interdit pour la démonstration de passer par l’intermédiaire du triangle rectangle, mais il paraissait plus élégant d’utiliser l’inversion, seule transformation géométrique qui ne fait pas correspondre les figures point par point. Ce problème est connu depuis sous le nom de Cercle de Napoléon. À cette occasion, le Marquis de Laplace, toujours prêt à prononcer un compliment avait conclu : « Général, j’attendais tout de vous, sauf que vous m’enseigniez la géométrie ».

Il y a lieu de noter qu’ainsi Bonaparte introduisait en France à côté de la fameuse géométrie de la règle et du compas (matérialisant la droite et le cercle) la géométrie du compas seul (éliminant la droite). Des détracteurs ont objecté que Bonaparte avait mis à profit sa campagne d’Italie pour rencontrer le mathématicien fondateur de cette géométrie, Lorenzo Mascheroni, mais la démonstration lui était personnelle. Plus loin, je ne fais que mentionner la démonstration des Points de Napoléon proposée au Comte de Lagrange, car il n’est pas prouvé qu’il soit  l’auteur de plusieurs autres démonstrations qui lui sont attribuées.

  • La description de l’Égypte

La campagne d’Égypte dirigée par Bonaparte de juillet 1798 à septembre 1799 aboutit à « La description de l’Égypte ou recueil des observations et des recherches qui ont été faites en Égypte pendant l’expédition de l’armée ». La première édition, la seule que nous mentionnerons ici, dite édition impériale, fut éditée de 1809 sous l’Empire à 1829 sous le règne de Charles X.

Par l’importance du sujet traité (23 volumes), la qualité typographique des textes, la beauté des gravures et la grandeur des formats, la description de l’Égypte est une œuvre monumentale. L’Antiquité occupe quatre volumes de textes et cinq de planches, l’État moderne, trois de textes et deux de planches, l’Histoire Naturelle, deux de textes et trois de planches, l’explication des planches et les cartes géographiques et topographiques (format 110cm x 72cm, dit mammutfolio), quatre volumes.

Certains objectèrent que les Anglais avaient déjà traité ce problème, mais ce fut d’une manière très partielle, d’autres qu’il s’inspira d’œuvres entreprises en France, en particulier des travaux de Buffon et de l’Encyclopédie.

Buffon rédigea l’histoire naturelle, générale et particulière en 36 volumes de 1749 à 1789, y compris la publication. Cette histoire naturelle devait à l’origine embrasser tous les règnes de la nature, mais se limita aux minéraux et à une partie des animaux, quadrupèdes et oiseaux. Elle occupa trois volumes pour l’histoire de la terre (1749), douze pour les quadrupèdes (1753-1767), neuf pour les oiseaux 1770-1783), cinq pour les minéraux 1783-1788) et sept pour les époques de la nature (1789).

L’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, éditée de 1751 à 1772 sous la direction de Diderot et d’Alembert, et rédigée par des encyclopédistes constitués en « société de gens de lettre », fut en réalité rédigée en quinze ans et occupa dix-sept volumes de textes et onze de planches.

Il y a lieu de noter que contrairement à ses prédécesseurs, Bonaparte appliqua ses connaissances dans un domaine entièrement nouveau et qu’il se dota de moyens considérables, que nous allons analyser dans la prochaine rubrique.

  • L’expédition d’Égypte

L’expédition emporta avec elle 167 savants, ingénieurs, médecins et artistes, par exemple le géologue Déodat de Dolomieu, le graveur et aquarelliste Henri-Joseph Redouté, le mathématicien Gaspard Monge, le chimiste Claude Louis Berthollet, le futur directeur général des musées Dominique Vivant Denon, le mathématicien Jean-Joseph Fourier, le physicien Malus, le naturaliste Étienne Geoffroy Saint-Hilaire, le botaniste Alire Raffeneau-Delile, l’ingénieur Nicolas-Jacques Conté du Conservatoire national des arts et métiers, le chirurgien René Desgenettes.

Ils fondèrent une académie, l’Institut d’Égypte, qui avait pour mission de propager les Lumières en Égypte grâce à un travail interdisciplinaire (amélioration des pratiques agricoles, apport de techniques d’architecture …). Une revue scientifique fut créée, la Décade égyptienne. Ils furent aussi destinés à aider l’armée, notamment à percer le canal de Suez, tracer des routes ou construire des moulins. Au cours de l’expédition, les savants observèrent la nature égyptienne, prirent des dessins et s’intéressèrent aux ressources du pays.

Après s’être rendu sur place avec un groupe de savants et avoir découvert les anciens vestiges du Canal de Suez de Sésostris III et de Néchao II et constatant qu’il n’avait pas le temps de mener à bien le percement complet du canal de Suez, Bonaparte donna ses instructions à l’ingénieur Jacques-Marie  Le Père qui rédigea un mémoire sur les travaux à exécuter. Bonaparte conclut : « Ce mémoire pourra servir à quelqu’un d’autres ». Les évènements ultérieurs lui donnèrent raison.

La pierre de Rosette (volée par les Anglais et actuellement  au British Museum) fut découverte dans le village de Rachid en juillet 1799 par un jeune officier du génie, Pierre-François-Xavier Bouchard. Grâce à une copie de la pierre de Rosette réalisée avant sa saisie et publiée dans la Description de l’Égypte, le Français Jean-François Champollion parvint à déchiffrer les hiéroglyphes égyptiens.

Jamais auparavant, autant de spécialistes au profil scientifique, technique, artistique et professionnel si varié n’avaient été réunis pour fonder une science, comme ce fut le cas pour l’Égyptologie.

Or, tout programme d’envergure peut être traité selon les mêmes principes.

  • Le Blocus Continental

Le Blocus Continental fut décrété par Napoléon 1er pour fermer au commerce de la Grande Bretagne les ports du continent et ruiner la marine de ce pays. Voici une conséquence durable de cette décision.

L’histoire du sucre européen commença par la remarquable découverte d’un scientifique allemand nommé Andreas Margraaf. En 1747, il démontra que les cristaux sucrés obtenus à partir de la betterave étaient les mêmes que ceux de la canne à sucre, mais c’est le Blocus Continental qui, en supprimant le sucre de canne, devait donner une impulsion déterminante au sucre de betterave.

En 1811, des scientifiques français présentaient deux pains de sucre issus de la betterave à Napoléon. Très impressionné, il décréta que 32 000 hectares de terres devaient immédiatement être dédiés à la betterave et il subventionna la construction de sucreries. Quarante sucreries virent ainsi le jour en quelques années, essentiellement dans le nord de la France, mais aussi en Allemagne, en Autriche, en Russie et au Danemark.

A la fin du Blocus Continental, le sucre de canne réapparut et plusieurs pays stoppèrent la production de betterave. Le gouvernement français, au contraire, soutint le développement de meilleures variétés et de meilleures techniques d’extraction. Le sucre de betterave devint une culture rentable.

Aujourd’hui, l’Europe a une production annuelle de 120 millions de tonnes de betteraves, qui produisent à leur tour 16 millions de tonnes de sucre blanc. La France et l’Allemagne sont encore les premiers producteurs, mais tous les pays européens, excepté le Luxembourg, cultivent la betterave. Presque 90 % du sucre consommé en Europe est local, ce qui eût été impensable il y a deux siècles, lors du Blocus Continental.

  • Les grands travaux de génie civil

Sans m’appesantir sur les détails, je cite un domaine avec quelques chantiers entrepris par Napoléon dans la moitié nord de la France. Il fit creuser dans la région parisienne le Canal de l’Ourcq de 1804 à 1813, le Canal de Nantes  à Brest, œuvre titanesque lancé en 1804, mais achevée dans son intégrité seulement en1842. Il initia le projet du Canal latéral à la Loire, qui relie le Canal de Briare au Canal du Centre, la réalisation n’ayant lieu que de 1822 à 1838.

Mais la postérité notera surtout qu’en 1802, Napoléon reprit les travaux pour relier l’Oise à l’Escaut, en chantier de 1802 à 1810 sous la direction de l’ingénieur Antoine-Nicolas Gayant. Il y attachait une grande importance, puisqu’il l’inaugura en grandes pompes en présence de Joséphine le 28 avril 1810. Il était efficace dans la conception des travaux de génie civil, mais également dans la conduite des chantiers, car les prisonniers de guerre payèrent toujours un lourd tribut pour réaliser ses projets.

  • Le plus grand mathématicien de tous les temps

Les maréchaux d’Empire commencèrent à subir des défaites en Allemagne. Furieux, certains demandèrent à Napoléon de détruire la ville par laquelle ils passaient. Celui-ci refusa et objecta : « On ne détruit pas la ville qui abrite le plus grand mathématicien de tous les temps ». Qu’entendait-il par là ? Lorsque je suivais les cours de préparation aux grandes écoles, j’appris un théorème établi par ce mathématicien …  à l’âge de sept ans ! Je précise.

L’instituteur allemand, Mr.Büttner, voulant avoir quelques heures de tranquillité, occupa ses élèves par la tâche suivante : « Additionnez les nombres de 1 à 100. Quand vous aurez terminé, vous pourrez rentrer chez vous ». À peine eut-il fini de parler, que le petit Carl Gauss griffonna quelques mots sur son ardoise, lèva le doigt et demanda de partir. L’instituteur s’offusqua, mais l’élève répondit qu’il avait fini. L’instituteur alla vérifier et lut stupéfait sur l’ardoise : 101 x 55 = 5050 et se fit expliquer comment son élève avait trouver la solution, évidemment exacte, que d’ailleurs l’instituteur ne connaissait pas.

  • Les maréchaux d’Empire

Parmi les vingt-six maréchaux d’Empire la compétence était de rigueur. Mais d’où venaient donc ces maréchaux ou comment débutaient-ils dans la vie ? Je cite quelques exemples.

Jean-Baptiste Bernadotte, simple soldat à 17 ans termina sa vie comme roi de Suède et de Norvège. Pierre Augereau était fils de domestiques, Adolphe Mortier, de drapier, Joachim Murat, d’aubergiste, Michel Ney, de tonnelier, Nicolas Oudinot, de brasseur et distillateur d’alcool, Louis-Gabriel Suchet, de soyeux à Lyon. Jean Lannes était  teinturier, André Masséna, mousse dans la marine, François-Joseph Lefebvre épousa la blanchisseuse Madame Sans-Gêne et pour conclure, le polonais Joseph-Antoine Poniatowski devint maréchal de France.

Ainsi, le tiers des maréchaux d’Empire d’origine modeste auraient végété sous l’Ancien Régime. La Révolution et l’Empire leur donnèrent leur chance parce qu’ils possédaient des qualités exceptionnelles et adaptées à la siuation.

  • L’Histoire avec un grand H

Autrefois, les manuels d’histoire exposaient des faits très étudiés après de nombreuses recherches et en tiraient des commentaires le plus souvent équilibrés. Je me souviens en particulier de la série des manuels sous la direction de Malet et Isaac. Aujourd’hui, il n’est plus nécessaire d’être historien. Je dirai même que c’est devenu un vice rédhibitoire. Louis XIV et Napoléon 1er , avec leur siècle scientifique, économique et artistique   ont disparu des manuels en tant que tels. Austerlitz, la bataille la plus analysée au monde par les académies militaires avec celle de Cannes, est à peine évoquée, sinon pervertie.

Par contre, on trouve dans les manuels actuels une caricature royaliste, dont on ne cite même pas l’auteur et où, au mépris de la plus élémentaire décence, Napoléon est représenté, tremblant, en train de déféquer devant les vrais héros de l’Histoire, l’Empereur d’Autriche, le Tsar de Russie, les généraux Wellington et Blücher.

Comment réutiliser actuellement l’activité scientifique de Napoléon ? Suivons le même classement que précédemment.

  • L’enseignement primaire des mathématiques

Rappelons-nous les rubriques sur le Cercle de Napoléon et sur le plus grand mathématicien de tous les temps. Alors que Napoléon avait limité la représentation géométrique traditionnelle à un instrument, le cercle, ajoutons en au contraire un troisième, le rapporteur. Il suffit d’inclure  la paire de ciseaux, des crayons de couleur, du carton et de la colle et le tour est joué.

En outre, distinguons avec Pascal esprit de finesse et esprit de géométrie et souvenons-nous que le cours de math.élem. basé actuellement sur l’algèbre et l’analyse, chères à Descartes, reposait autrefois sur les sections coniques, chères à Pascal, et où les cercles roulaient les uns sur les autres en engendrant d’étonnantes figures géométriques.

Avec l’aide de l’instituteur, les élèves s’amuseront à reproduire droites, cercles, ellipses, paraboles et branches d’hyperboles, et suprêmes constructions, cycloïdes, épicycloïdes et hypocycloïdes qu’ils vérifieront avec un bol rempli d’eau colorée éclairé par une lampe de poche ou simplement en prenant leur petit déjeuner, avec une roue de bicyclette et sur les murs de leur salle de classe éclairés par un lustre.

Si les enfants rechignent devant l’algèbre, ils adorent la géométrie sans être indifférents à l’arithmétique, car ils possèdent, comme tout le monde, à chaque main cinq doigts évidemment faits pour compter. C’est pourquoi, avec une aide réduite, la majorité peuvent devenir émules de Carl Gauss, à condition de vérifier directement au préalable la somme avec les chiffres de 1 à 10. Ils pourront alors égaler le plus grand mathématicien de tous les temps avec les nombres de 1 à 100, puis le dépasser avec les nombres de 1 à 1000.

Cessons d’assassiner Einstein. Considérons les enfants du primaire comme des êtres responsables et préparons les à aimer et comprendre les sciences, qui leur seront indispensables plus tard.

  • Les inondations et de leurs causes

Rappelons-nous la rubrique sur la description de l’Égypte ainsi que le programme sur la protection contre les crues. Notons qu’il n’existe sur les inondations en France aucun équivalent de la description de l’Égypte. On ne trouve plus en librairie d’ouvrages spécialisés directement consultables. Le livre récent sur les inondations remarquables en France (Michel Lang et Denis Cœur, coordinateurs) relève non d’une initiative nationale, mais de la directive européenne 2007/60/CE du 23 octobre 2007. La tentative française précédente remontait à Napoléon III.

Malgré ses qualités, ce livre présente de nombreuses lacunes et met en exergue un défaut  rédhibitoire : l’administration française est si mal conçue que des auteurs désirant réaliser un ouvrage exhaustif sur un sujet donné ne le peuvent pas, car ils ignorent souvent si l’information existe ou non et dans l’affirmative, ne savent souvent pas où se la procurer, surtout si elle a de la valeur.

Notons quelques repères.

Je fus chargé de mettre en place dans le Bassin RMC un programme d’aménagement de vallées incluant tous ses aspects y compris la protection contre les crues et l’étude économique d’aménagement avec un exemple précis, celui de l’Orb dans le Languedoc. Cette étude dura cinq ans et en particulier prit en compte l’inondation la plus importante, celle de décembre 1954. Ces crues ne figurent pas dans ce livre, de même que les grandes crues de l’Ardèche qui devraient conduire à un projet d’aménagement de cette vallée.

Les habitants du midi de la France sont très sensibles à la notion de crues, tant les inondations dans ces régions sont violentes et imprévues. Ils ont même créé un nouveau vocable pour définir le phénomène, les vidourlades, dérivé du nom du fleuve côtier du Gard et de l’Hérault. Souvent, ils matérialisent une pointe de crue par un trait horizontal et une date sur un mur. J’ai lancé à l’époque une campagne de rattachement au système NGF des relevés topographiques de ces données sur une quarantaine de pointes de crues. Elle révéla une grande cohérence et permit une extrapolation régionale du phénomène. Ces crues ne sont pas mentionnées.

Rappelons à cette occasion que le Directeur de l’Agence de Bassin RMC laissa détruire l’information modernisée sous forme de cartes perforées concernant le réseau de stations de mesures limnimétriques journalières, plus d’une centaine de stations ayant fonctionné plusieurs décennies. Les données de milliers de stations-années hydrologiques furent d’abord stockées dans un réduit sans protection, puis endommagées, un comble,  par dégât des eaux, et enfin terminèrent leur voyage dans une déchetterie.

Ainsi, on comprend que la protection contre les crues à l’échelon national ne débute pas à partir du néant, mais qu’il existe en sommeil tous les éléments, notamment l’information, pour mener rapidement à bien une action efficace.

  • La description des crues

La description des crues peut s’inspirer de l’œuvre lancée par Bonaparte et rassembler en une seule unité toute l’information éparse et comportant les élément suivants :

L’exposé des éléments nécessaires à l’action à entreprendre, géographiquement en France, dans les départements et territoires d’outre-mer en priorité mais non en exclusivité, le découpage existant en unités d’intervention sous forme d’atlas.

Un manuel technique d’instruction générale concernant uniquement les crues et incluant géographie, pluviométrie, hydraulique, hydrologie, topographie, pédologie, géologie, hydrogéologie …

Des annuaires de données incluant la définition des variables pluviométriques y compris sur la neige collante ; les éléments influençant l’infiltration et le ruissellement ; les éléments géographiques, topographiques et anthropologiques relatifs aux sections de mesures ; les mesures de débits et les courbes de tarage …

Le matériel utilisé et celui qui devrait l’être.
Le réseau de mesures existant et celui à mettre en place.
Des manuels étrangers sur les données et les méthodes utilisables en France.

Un dictionnaire technique franco-anglais adapté sur le sujet.

On constate immédiatement qu’une action efficace exige une bibliothèque de plusieurs milliers d’ouvrages accessibles rapidement à tout spécialiste, aussi souvent que celui-ci le désire.

  • L’Académie des Sages de France

Rappelons-nous les rubriques sur l’expédition d’Égypte et les maréchaux d’Empire.

La première rubrique montre que les savants français de La Révolution, en majorité, n’ont pas hésité à participer à l’expédition d’Égypte, dont l’issue restait incertaine, car le Général Bonaparte savait les écouter, les comprendre, parler leur langage et leur offrait une aventure scientifique inégalée au lieu de discours politiques insipides. Ils croyaient en ses promesses et ne furent pas déçus. Cette rubrique montre aussi que les anglais ne produisirent rien à partir d’un document volé alors qu’un français fut capable de déchiffrer un langage inconnu à partir de la copie rigoureuse de l’original effectuée auparavant en Égypte.

La deuxième rubrique montre que le tiers des maréchaux d’Empire, dont l’un fonda une dynastie royale stable, étaient issus d’un milieu populaire, ce qui prouve que dans certaines circonstances favorables rien ne s’oppose à l’épanouissement de la compétence.

Dans le passé, ont existé les sages de la Grèce antique au nombre de sept ; pourquoi de nos jours n’existerait-il pas aussi les sages de la France ?

Pour intégrer sous la révolution française l’Académie des Sciences fondée sous l’ancien régime, chaque candidat devait présenter un projet inédit jusque là dans sa section et agréé comme l’a montré le sujet désigné sous le nom de « Cercle de Napoléon ». Les communications présentées au cours des séances étaient analysées dans un recueil intitulé « Comptes rendus de l’Académie des Sciences ». Il s’agit de créer une Académie des Sages selon les mêmes principes, outre que ces projets devront être efficaces, transformables et transformés en projets d’ingénierie internationaux, nationaux, régionaux et même plus modestes mais plus nombreux par les soins de cette même Académie.

  • Le développement des inventions

Rappelons-nous la rubrique sur le Blocus Continental. À partir d’une invention en sommeil, Napoléon poussa les savants français à lui donner une forme pratique, jusqu’à ce que ceux-ci arrivent à présenter deux pains de sucre issus de la betterave. Napoléon assura alors la relève en créant une agriculture de la betterave et en assurant la construction de sucreries industrielles. Le mouvement déborda rapidement les frontières de la France. Cet exemple  indique qu’une structure de développement des inventions orchestrée par  l’Académie des Sages, est indispensable.

Plus généralement, les cas développés ci-dessus, aussi bien que dans les exposés précédents, font apparaître que le système de gouvernement de la France avec Premier Ministre et ministères est caduque. En effet d’une part, le Premier Ministre étant nommé, ne peut assurer un poste en cas de défaillance ou de décès du Président, contrairement à un Vice-Président. D’autre part, un même ministère est responsable de plusieurs domaines indépendants, voire contradictoires, alors qu’un même domaine peut relever de plusieurs ministères entre lesquels communication et solidarité existent peu ou prou. L’efficacité exige une correspondance biunivoque entre domaine d’activité et ministère.

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Chapitre II

Protection contre les crues

 

  • Introduction

Dans le cadre des catastrophes naturelles, de nombreux pays sont martyrisés dans un ou plusieurs domaines spécifiques. Par exemple, le Japon, grande puissance mondiale, d’une surface équivalente aux deux tiers de la France, peuplé comme deux fois notre pays, est blessé par toutes sortes de cataclysmes, tremblements de terre, éruptions volcaniques, tsunamis, l’Italie est désemparée par les tremblements de terre et ne propose guère de solution; pour sa part, la France possède son talon d’Achille qu’elle semble ignorer, les inondations, qui causent au niveau mondial mille fois plus de morts que les accidents nucléaires civils et soulèvent donc un problème préoccupant.


  • Notion de crues

En hydrologie, il convient de poser la véritable question : existe-t-il un rapport direct et immédiat entre pluie et crue de cours d’eau ? Si une réponse affirmative paraît évidente à un Béotien, il n’en est pas de même à un spécialiste en contact avec la réalité quotidienne.

La Sibérie est le fief de gigantesques crues d’embâcle et de débâcle par gel et dégel. La crue du Niger passe à Niamey courant février, une saison sèche drastique régnant depuis cinq mois. La catastrophe de Malpasset du 3 décembre 1959 fut, nous le verrons ci-dessous, orchestrée par une administration ayant substitué un régime torrentiel artificiel au régime fluvial naturel par souci mal apprécié d’économie. Nous verrons plus loin le cas du Vernazobre qui buta sur un obstacle artificiel et celui de l’Orb au lit encombré de déchets.

Examinons le problème.

Considérons une section en travers de cours d’eau (en m2). Le lit mineur, c’est le lit habituel entre berges utilisé la plus grande partie de l’année, le champ d’inondation, tout ce qui sert de réceptacle à l’eau qui déborde du lit mineur. Il existe un champ d’inondation en rive droite et un en rive gauche. L’ensemble du lit mineur et des deux champs d’inondation constitue le lit majeur et le phénomène global de montée et de descente des eaux se nomme crue.

La hauteur du niveau d’eau (en m.) atteinte dans une section d’observations (en m2) ou de mesures de débits (en m3/s) se repère sur un limnimètre ou s’enregistre sur un limnigraphe, le zéro étant arbitraire et relatif ou absolu et rattaché au Nivellement Général de France (système NGF). Le volume qui traverse chaque seconde une section en travers s’appelle débit (en m3/s).  La vitesse moyenne du courant (en m/s) reste élevée dans le lit mineur, alors qu’elle s’affaiblit dans les champs d’inondation. Pour ces deux raisons, le débit d’inondation, quoique spectaculaire, est toujours surestimé en valeurs relatives (en %). La montée extrême se nomme pointe de crue. Plus elle est sévère, plus le phénomène est rare, disons au niveau du siècle, du millénaire et au-delà.

L’art de l’hydrologue chevronné consiste à établir une section de mesures dite de tarage où il y a sur une longue durée une correspondance biunivoque entre hauteurs limnimétriques et débits. Il peut alors tracer une courbe de tarage valable du débit en fonction de la hauteur (et réciproquement). Un nombre restreint de mesures très techniques ou jaugeages suffit alors pour connaître tous les débits par simple lecture limnimétrique.

Comme les fonds de vallées déjà prospères s’urbanisèrent en concentrant les richesses, l’activité humaine durant « les Trente Glorieuses » (1946-1975) a quintuplé ou décuplé le montant des dégâts naturels causés par les inondations. Dans l’hypothèse générale où l’augmentation du ruissellement et le freinage de l’écoulement conjuguent leurs effets, le montant des dommages a pu être multiplié par vingt ou cent.

Rappelons-nous la chanson étonnamment précise extraite du répertoire d’Enrico Macias, l’Île du Rhône :

«  … Tous les cent ans, la chose est légendaire,
Quatre ou cinq fois, il nous fait bien du mal …

Car si le Rhône nous donne encore vingt ans … ».

Remarquons que cette notion est prise en compte en hydrologie sous l’expression « période de retour statistique vingtennale ». Il existe d’autres périodes de retour utilisées pour les projets, quinquennale, décennale cinquantennale, centennale et, suprême arrogance des hydrologues qui croient pouvoir tout analyser pour la protection des êtres humains, millennale et décamillennale.

Les crues d’un cours d’eau possèdent une particularité remarquable. Alors que tout varie d’une crue à l’autre et à l’intérieur d’une même crue, le rapport entre les débits des champs d’inondation et ceux du lit mineur est stable, faible et de l’ordre de deux pour cent (crue décennale) et quatre pour cent (crue centennale) pour tous les cours d’eau du monde. La connaissance du rapport précis et circonstancié, qui exige de la compétence et des moyens techniques, demande parfois des années d’observations et de mesures, mais constitue souvent la clé d’une étude qui se veut sérieuse.

Quoi qu’il en soit, les crues ne se produisent pas au hasard, mais sont dominées par deux types différents de propagation des eaux. Avec un régime fluvial, l’écoulement est contrôlé hydrauliquement par l’aval, c’est-à-dire qu’il reste dominé par la présence de tous les obstacles situés à l’aval de son cours, rétrécissements, ouvrages d’art, marées, atterrissements dus à une absence d’entretien…, mais n’est pas contrôlé par l’amont. Avec un régime torrentiel, le contrôle est interverti et reste uniquement dominé par la configuration amont, non celle de l’aval. Entre les deux situations bien définies, la transition relève d’un régime critique, très instable, imprévisible donc incontrôlable.

Le régime fluvial constitue la règle mondiale, le régime torrentiel l’exception. Ainsi dans les exemples cités, seule la catastrophe de Malpasset, qui entraîna la mort de quatre cent vingt trois personnes et des dégâts considérables, fut provoquée par un régime torrentiel artificiel et l’enquête montra le cumul d’erreurs grossières. Par contre, la décimation de Saint-Chinian par une foire, analysée plus loin, releva de la création d’un obstacle, donc d’un contrôle hydraulique aval aberrant en régime fluvial, ainsi que pour la crue de décembre 1954 à Béziers due à l’absence d’entretien du lit. Je conclurai par Florence.

Poursuivons nos investigations.

Une notion importante en hydrologie est le bassin versant ou par abréviation, bassin, cuvette qui recueille les eaux de pluie et les conduit en partie vers un drain plus ou moins important, le cours d’eau, ruisseau, rivière, fleuve. Une dizaine de facteurs significatifs définit le comportement d’un cours d’eau, dont la surface et la forme du bassin (immuables), le ruissellement, fonction du bassin, de la pluie (variable aléatoire), de conditions naturelles (topographie, géologie, végétation…) et de l’intervention humaine, qui perturbe et transforme ces conditions.


Comment nos prédécesseurs considéraient-ils le problème des inondations ?

  • L’apprenti sorcier

En 1897, Paul Dukas composa la musique de « l’Apprenti Sorcier », sur un thème illustrant une œuvre  écrite un siècle auparavant par Goethe. Comment imaginer la scène ?

La connaissance se transmet de professeur à élève. La magie, la sorcellerie n’échappent pas à cette règle, mais l’apprentissage reste long et difficile parce que secret et de diffusion restreinte. Dans notre affaire, l’unique disciple demeure seul dans l’antre du sorcier par tentative délibérée, pur hasard ou intention maligne du maître. L’histoire ne précise pas ce point, mais l’apprenti saura exploiter la situation pour éprouver son pouvoir magique.

Des cuvettes, des pots, des outils, une hache rouillée, des objets indéfinissables encombrent le sol de la salle aux murs épais, au plafond bas et voûté. Au milieu, émergent trois barriques, debout, ouvertes et vides. Près de la porte entrebâillée traîne un balai au manche mal taillé et dont la brosse perd ses poils. Dans le coin opposé, une chaise bancale, poussiéreuse et au siège dépaillé, est adossée au mur.

Brusquement après de longues hésitations, l’apprenti sorcier franchit le pas: d’un ton décidé, il prononce la longue formule qu’il connaît par cœur. Rien… Mais si… Le balai enchanté frémit, se redresse, glisse sur le plancher en direction d’un seau, passe l’extrémité supérieure de son manche dans l’anse, puis incliné vers l’avant, escalade les deux marches et franchit la porte qui se referme lentement en grinçant. Quelques instants plus tard, la porte s’ouvre de nouveau, laissant le passage au balai transportant le seau plein d’eau, qu’il vide dans la première barrique. Puis mécaniquement le cycle recommence et recommence encore.

Surmontant sa stupeur, l’apprenti sorcier se laisse submerger par l’orgueil, car le serviteur lui obéit docilement, et se dresse à côté de la chaise, pour mieux embrasser la scène. De temps à autre, lorsque le balai repart, il va vérifier le niveau d’eau en se dressant sur la pointe des pieds. Dans le feu de l’action il n’avait pas observé, mais il enregistre maintenant l’accélération du rythme à chaque passage. La deuxième barrique achève de se remplir. Bientôt tout s’arrêtera et le disciple aura réussi sa première expérience de magie comme un véritable maître. Quelle puissance ne possède-t-il pas !

Pour la première fois, il s’aperçoit que le seau versé fait déborder la troisième barrique remplie à ras bord. Il ordonne de s’arrêter au balai qui continue mécaniquement son travail. Il s’avise alors qu’il ne connaît pas la formule magique pour interrompre l’activité du serviteur. Il crie, s’énerve, s’affole et sent la situation lui échapper, tandis que l’eau ruisselle sur le sol. Il découvre la hache, la saisit et assène un violent coup sur le balai qui vole en éclats, pendant que le seau roule au pied de la dernière marche du petit escalier. Soulagé, il se laisse choir sur la chaise. Mais son triomphe s’achève à peine commencé. Les débris se relèvent, s’assemblent et le balai reprend la tâche aveugle et inepte.

Terrorisé, il ne songe même pas à s’enfuir alors que l’eau atteint la première marche, la deuxième et s’écoule à l’extérieur. Perdant tout contrôle, il se rue vers la porte, l’eau jusqu’aux genoux, gravit les deux marches, franchit le seuil. Il se trouve face à face avec le maître, au visage empreint de gravité, qui l’écarte, étend la main vers l’intérieur de l’antre et lance un ordre cabalistique au balai. Le serviteur s’immobilise, rejoint sa place et redevient un vieux balai inerte et vétuste.

L’eau reflue, le niveau baisse et libère une marche, puis deux. Le sol sèche, les barriques se vident. L’apprenti sorcier honteux, mais rassuré par la présence du maître, descend l’escalier, s’approche d’une barrique, regarde à l’intérieur. Alors le maître, mi-sérieux mi-badin, administre un coup de pied vif au bas du dos de l’apprenti. Avec cette leçon bien méritée, tout rentre dans l’ordre.

En cette fin du XIXe siècle, Paul Dukas reprend le thème de l’apprenti sorcier. Il exprime son inquiétude face à l’explosion de la science et de la technologie, mais reste optimiste comme ses contemporains. La connaissance triomphera de tous les problèmes. Face aux bavures industrielles et politiques, des savants, des philosophes, des hommes avisés interviendront pour redresser la situation avec sagesse et autorité. Tout apprenti sorcier possède un maître. Est-ce le cas de nos jours ? Pour répondre à cette question, passons en revue quelques exemples connus.


  • Exemples de crues

À neuf kilomètres en amont de Fréjus, le barrage de Malpasset construit sur le Reyran, affluent de l’Argens, avec son type à voûte mince en forme d’arc, haut comme une maison de huit étages, avait vraiment fière allure.

Or, un barrage-voûte construit avec un matériau aussi solide que le béton armé n’a en dernier ressort de valeur que par la résistance du rocher sur lequel il s’arc-boute, car sa forte courbure convexe tournée vers l’amont a pour rôle de rejeter la poussée de l’eau sur les rives par des effets d’arc.  Les constructeurs de cathédrales gothiques connaissaient bien cette propriété. Même un profane saisit intuitivement l’obligation d’effectuer l’étude de la résistance de ce rocher, et de ne réaliser le projet que si le rocher offre toutes les garanties de sécurité. L’absence de ses garanties techniques constitue une faute gravissime.

On plonge alors dans un rêve ou plutôt un cauchemar, car cet élément fondamental du projet fut ignoré. Pour ne reprendre qu’un détail, la somme allouée à l’expert géologue s’éleva à l’équivalent de cent cinquante-trois euros de l’époque, frais d’expertise, de déplacements et de constitution du dossier technique inclus. Ces honoraires couvraient  une mission de deux jours sur le terrain et une journée de rédaction de rapport en bureau, en excluant toutes mesures et investigations sur le site. On peut s’étonner qu’un prestigieux ingénieur conseil acceptât de réaliser une étude au rabais. La déontologie de la profession ne fut pas respectée, et les études et investigations, maintenues à un niveau dérisoire, furent sabotées.

Enfin, constatant que ces études géotechniques préliminaires indispensables n’avaient pas été réalisées, une des pièces du dossier administratif concluait cependant : « La décision de lancer quand même les travaux a donc toutes chances d’avoir été judicieuse et économique ». Bref, pour entreprendre un tel ouvrage, il fallait se donner les moyens de le réaliser, ce qui en l’occurrence ne fut pas le cas.

Lors de la période de remplissage, la phase la plus critique de la vie d’un barrage, alors que le niveau parvenait aux neuf dixièmes de la hauteur utilisable, des suintements apparurent en rive droite et se transformèrent en sources dont le débit augmentait avec l’élévation du niveau d’eau. Il se mit à pleuvoir.

La situation devint inquiétante à tel point que la troupe de secours en montagne fut mobilisée, mais  la population locale fut maintenue dans l’ignorance. Alors, une réunion tenue le 2 décembre à 18 heures, et regroupant les responsables du projet conclut à la nécessité de l’ouverture immédiate de la vanne de fond pour évacuer sans danger le débit maximal. Pourquoi ces atermoiements ? Parce que cette opération, ne permettant que de sauver des vies humaines, entraînait la dilapidation d’une fortune matérialisée par la réserve d’eau. Trois heures après la fin de la réunion, cet ordre non encore transmis n’offrait plus le moindre intérêt.

Car le soir même à 21 heures 30, le barrage pivota de quelques centimètres autour de son ancrage dans le rocher en rive droite ; la partie centrale et celle située en rive gauche se démantelèrent. Tel fut le destin du plus grand barrage d’irrigation d’Europe, doté de la voûte la plus mince du monde. L’onde de crue d’une cinquantaine de millions de m3 ainsi engendrée et créant un régime torrentiel  de cours d’eau descendit en vingt minutes de Malpasset à Fréjus et balaya un quartier de la ville.

Le 2 décembre 1959, le soleil d’Austerlitz oublia de briller sur Fréjus. La catastrophe entraîna la mort de quatre cent vingt trois personnes.

Le maître d’œuvre de la plus grande catastrophe civile de France métropolitaine, la D.D.A., Direction  Départementale de l’Agriculture du Var, et son ingénieur-conseil, Coyne et Bellier, le plus grand barragiste du monde, ne furent jamais inquiétés et survécurent sans problème au naufrage du projet.


Au sud de la France, le Vernazobre, affluent de rive droite de l’Orb, fleuve qui arrose Béziers, est une rivière au lit à forte pente et aux versants de bassin à déclivité accusée, aux crues violentes et imprévisibles. Le long de ses rives s’étire l’agglomération de Saint-Chinian. Une plaque scellée au-dessus du porche de l’église indique le niveau maximal de la crue du dimanche 12 septembre 1875. Or pour un expert, la cote atteinte ne s’explique pas avec la configuration actuelle : l’observation « ne colle pas » à la réalité. Le nombre élevé de victimes enterrées dans le cimetière confirme pourtant le diagnostic catastrophique.

Un tableau d’époque peint par un amateur fournit la clé de l’énigme. Saint-Chinian, ville prospère grâce à son activité lainière, organisa une foire dont les tréteaux, les stands et les marchandises encombraient tout le lit asséché du Vernazobre sur une centaine de mètres. Avant le démarrage de la foire, la population se rendit à l’église de bon matin. La crue produite par un violent orage étendu à l’ensemble du bassin surprit la ville et se brisa sur cet obstacle artificiel. Le niveau se suréleva de quatre mètres en cinq minutes, puis redescendit en un quart d’heure après avoir dispersé les stands et noyé cent vingt personnes, dont les deux tiers dans l’église durant l’office dominical et les douze membres de la famille Lacroix demeurant dans une ferme à l’orée amont de la ville.

Cette catastrophe ruina la prospérité de Saint-Chinian, dont l’activité lainière se transféra en bloc à Mazamet et les irréductibles restèrent à cultiver leurs vignobles en s’efforçant d’oublier leurs morts. La crue du Vernazobre eut pour cause une élévation artificielle du niveau d’eau par la création d’un obstacle anormal bloquant momentanément l’écoulement vers l’aval (contrôle aval en régime fluvial).


Du 6 au 9 décembre 1954, une crue, inexplicable par les seules précipitations pourtant abondantes et causée par l’Orb, fleuve débouchant dans la Méditerranée, ravagea la ville de Béziers. Dans la traversée de cette ville existent quatre ponts rapprochés, dont un pont canal permettant au Canal du Midi de franchir l’Orb, qui avaient été construits à différentes époques.

 Depuis plusieurs années, l’entretien réglementaire du lit du cours d’eau n’était plus assuré par suite d’une mésentente entre les Directions Départementales de l’Équipement (DDE) et de l’Agriculture (DDA). Les atterrissements avaient envahis le lit dans toute la traversée de la ville et les arches des ponts, notamment celles du  pont Neuf, étaient obturées en grande partie par la végétation.

Une campagne de mesures et des investigations sur les crues de l’Orb, que je fis à l’époque, montrent que la catastrophe aurait pu être évitée par un entretien normal et réglementaire du lit du cours d’eau et que la crue normale aurait seulement occasionnée des dégâts mineurs.


Le transport de sédiments, la turbidité fluviale issue de l’érosion amont, modifie l’aspect et la consistance de l’eau. Il s’accroît de matière alarmante, si bien que la durée de vie des retenues classiques n’excède pas le siècle, mises à part quelques heureuses exceptions, Serre-Ponçon à l’aval du confluent de la Durance et de l’Ubaye, et naturellement le lac Nasser en Égypte…  La télévision ne se prive d’ailleurs pas d’exposer des inondations constituées par des eaux boueuses et sales. Il existe même un exemple devenu un cas d’école.

En ce soir de novembre 1966, l’équipe de surveillance du barrage implanté sur le haut bassin de l’Arno s’inquiète. Il pleut sans discontinuer depuis deux jours et le service météorologique ne prévoit aucune amélioration. Le niveau continue de s’élever dans la retenue déjà pleine. Or, chaque barrage est protégé contre une crue démesurée et rarissime, par un déversoir aménagé à son sommet et par des vannes, à son pied. Malgré ces protections, les consignes d’exploitation restent inefficaces.

Alarmé, l’ingénieur responsable téléphone en pleine nuit aux autorités de Florence, située à l’aval, pour déclencher l’alerte, mais celles-ci refusent d’admettre un désastre imminent et préfèrent dormir : pourquoi s’inquiéter puisque de mémoire de florentin, on n’a jamais essuyé de grosses catastrophes et Dieu sait si la capitale de la Toscane, ancien fief des Médicis, a été modelée par des siècles d’histoire.

À l’aube, l’Arno déborde, emporte les boutiques du Ponte Vecchio, contourne les parapets, coupe les routes, effondre les ponts de chemin de fer, déracine les lignes électriques et téléphoniques. En rive droite, les quartiers anciens avec le Palais Seigneurial, la Place du Dôme, le Campanile de Giotto, les Musées et les monuments historiques, ne constituent plus qu’une vaste zone d’inondation d’un kilomètre de large, dans la ville sinistrée, enclavée, isolée du reste du monde.

Le déboisement du bassin de l’Arno poursuivi depuis des siècles accéléra l’érosion des sols. En novembre 1966, l’Arno charriait des tonnes de sédiments qui coloraient ses eaux en brun rouge. Non content de noyer Florence, l’Arno la souilla. Il dévalorisa ses monuments historiques, ses musées, ses milliers de tableaux, ses millions de livres, six siècles d’archives, et qui classaient Florence parmi les villes les plus dotées en trésors artistiques. Et pendant plusieurs années, autant que faire se peut, il fallut régénérer les tableaux récupérables.

Le barrage édifié sur l’Arno avait, entre autres, pour but de protéger Florence contre les inondations et non de jeter un florentin sur dix à la rue. Or, la deuxième guerre mondiale n’avait pas autant martyrisé cette ville que cette crue-là. À Rome, la catastrophe inaugura une période de crise politique.


De nos jour, l’apprenti sorcier a tué le maître avisé qui aurait pu intervenir pour redresser les situations avec sagesse et autorité.


  • Modèles réduits

Un jour, un potamologue, que j’appellerai Martin, m’exposa la comparaison de la toiture de son pavillon situé à Gif-sur-Yvette à un modèle réduit de bassin versant de cours d’eau.

Au-dessus de l’unique étage, il avait aménagé les combles en chambres d’amis. Le toit, recouvert de tuiles grises, possédait deux versants d’égale déclivité orientés, l’un au sud-ouest, l’autre au nord-est. À la base de chacun d’eux, un chéneau, incliné de quelques degrés sur l’horizontale, évacuait les eaux de pluie jusqu’à un entonnoir débouchant sur un puits perdu recouvert de graviers et entouré de végétation.

Au petit matin il se mit à pleuvoir. L’eau ruissela sur les pentes du toit, rejoignit le chéneau, s’engouffra dans l’entonnoir et s’infiltra dans le puits perdu. L’intensité de la pluie augmenta, le niveau de l’eau s’éleva dans le chéneau qui l’évacua à ras bord, reproduisant en miniature un phénomène de crue naturelle. L’intensité restant constante, le chéneau continua à fonctionner à niveau constant.

Soudain, la pluie redoubla de violence. L’eau en surplus déborda du chéneau de section insuffisante, et se répandit sur le sol. La crue engendra une inondation et le volume en excès ne s’évacua plus par le chéneau. C’était toujours sous la pente orientée au sud-ouest, où soufflent les vents porteurs d’humidité, que se créaient les flaques. Après le passage de la perturbation, le débit dans le chéneau décrût, puis s’annula. Les dernières traces d’humidité du toit s’évaporèrent. Le chéneau sécha.

Ce matin-là, l’averse n’entraîna aucun dégât ; mais un jour, le vent arracha plusieurs tuiles et la pluie pénétra dans une chambre d’amis. Le débit transitant par le chéneau, diminué de celui qui s’infiltrait, se mit à décroître. Un autre jour, des feuilles, arrachées par une rafale de vent aux platanes de la route voisine, obstruèrent une partie du chéneau qui déborda en amont du bouchon. Lorsque les précipitations s’espacent, le toit se recouvre de poussière, le début de la pluie exerce une action de nettoyage. L’eau sale ruisselle sur le toit et s’écoule dans le chéneau : elle est polluée.

Le toit du pavillon de Martin imite la nature à petite échelle, mais selon le même principe : que reproduisent les éléments de ce modèle réduit simplifié d’écoulement fluvial ?

Le chéneau, avec sa longueur, sa section, sa déclivité, évoque une rivière en miniature. La pente est un facteur de violence du courant et de traîtrise de la crue. L’entonnoir rappelle l’exutoire où un cours d’eau perd son identité. L’exutoire de l’Yvette se place à sa jonction avec l’Orge ; celui de l’Orge, à son confluent avec la Seine ; celui de la Seine, à son embouchure dans la Manche.

Le versant du toit symbolise artisanalement un bassin versant, qui recueille l’eau de pluie drainée par la rivière. Par exemple, il existe quatre grands bassins français, ceux du Rhône, de la Loire, de la Garonne et de la Seine. L’inclinaison du toit concrétise la pente des versants montagneux. Forte, elle assure un ruissellement abondant et une évacuation rapide de l’eau. La toiture s’assimile au sol qui, avec des tuiles posées correctement, reste imperméable : l’eau ruisselle mais ne s’infiltre pas. Le faîtage matérialise la ligne de partage des eaux imposée par le relief, déploiement de crêtes de montagnes et de collines. Ainsi les Alpes servent de ligne de partage des eaux entre le Rhône en France et le Pô en Italie.

Plus qu’une image évocatrice, le modèle réduit hydraulique est un concept mathématique fécond qui dicte ses lois, fournit une activité de haut niveau à des dizaines de milliers de spécialistes. Il hâta même l’issue de la seconde guerre mondiale, car le passage du Rhin en crue par les armées alliées ne laissa aucun répit à l’armée allemande, car il fut programmé avec succès sur modèle réduit près de Grenoble par la Société en gestation SOGREAH. Tout projet d’aménagement hydraulique inclut son modèle réduit, indispensable même sur les grands chantiers.

Il y a lieu de noter qu’un modèle réduit analogique peut être unidimensionnel (évolution le long du cours d’eau), si nécessaire bidimensionnel (prise en compte de mouvements perpendiculaires au cours d‘eau) voire tridimensionnel (prise en compte des nappes) ou remplacé par un modèle numérique depuis l’extension de l’informatique.

L’exécution d’un projet relève d’un domaine, l’entretien d’un chantier relève d’un autre domaine. En février 1956 à quatre cents kilomètres à l’aval des chutes Victoria, le Zambèze, grossi d’un débit de pointe égal à douze fois son débit moyen, déferla sur le plus grand chantier du monde, géré par la ZRA, l’autorité du fleuve Zambèze, copropriété de la Zambie et du Zimbabwe. De Grenoble,  SOGREAH, aux hangars encombrés de modèles réduits hydrauliques des fleuves de tous les continents du monde, maîtrisait la protection du site contre la crue, qui sous ses hangars, ne durait qu’une demi-heure. Chaque matin, elle transmettait les directives d’évacuation en temps utile des seules zones menacées. Le chantier ne cessa jamais de fonctionner et les retards et les pertes financières furent minimes.

  • Ingénierie

Je donne brutalement la définition du dictionnaire : « Étude d’un projet industriel sous tous ses aspects (techniques, économiques, financiers, monétaires et sociaux), qui nécessite un travail de synthèse coordonnant les travaux de plusieurs équipes de spécialistes ». Je  précise.

Un outil administratif : les étapes des études et projets

L’ingénieur-conseil ne se limite pas à émettre des avis sans portée réelle. Il constitue un cabinet d’études qui doit dominer les étapes successives de la maîtrise d’œuvre pour le compte de son client. Il engage sa réputation professionnelle et sa responsabilité technique, financière et pénale.

Toute conclusion négative d’une étape arrête le cheminement de l’ingénierie. Point n’est besoin d’approfondir les détails, si l’ensemble ne convient pas. Pourquoi calculer une vanne si le barrage est inconstructible ? En contrepartie, toute conclusion positive donne accès au niveau immédiatement supérieur du processus. Cette méthode, fruit d’une longue expérience, s’avère aussi efficace sur le plan technique qu’économique sur le plan financier. Dressons la liste des principales étapes et assortissons chacune d’elles d’un bref commentaire.

L’étude de faisabilité aboutit à un choix restreint de solutions également possibles sur le plan technique, par exemple diverses catégories de  barrages ; l’avant-projet propose la meilleure solution, assortie de justificatifs, par exemple le barrage à voûte mince ; l’appel d’offres est destiné aux entreprises intéressées par l’avant-projet et possédant de sérieuses références, par exemple huit sociétés européennes ayant réalisé depuis dix ans deux barrages ayant donné toute satisfaction au plan mondial.

Le projet (d’exécution) est un dossier avec dessins industriels et devis fournis par chaque entreprise en réponse à l’appel d’offres particulier lancé par l’ingénieur-conseil. Le dépouillement des offres par l’ingénieur-conseil sélectionne sans concession le meilleur projet de chaque domaine technique et justifie son choix par analyse comparative des différentes offres. Puis l’ingénieur-conseil organise et supervise les travaux, procède au démarrage de l’ouvrage et assure parfois le fonctionnement pendant une durée contractuelle.

Un outil économique : le modèle des coûts en fonction des durées de retour

Sera utilisé le modèle type non décrit dans la présente note, le modèle des crues de l’Orb.


  • Retour sur l’Yvette

Revenons à notre sujet originel. D’après de vieux voisins, l’Yvette n’avait pas provoqué d’inondations jadis pendant plus de vingt ans, mais débordait maintenant chaque année depuis six ans. Martin faisait le rapprochement entre le mécanisme des inondations de l’Yvette et l’apparition de flaques devant la face sud-ouest de son pavillon après chaque averse. Pendant vingt ans consécutifs, cette rivière ne provoqua pas d’inondations, car elle encaissa toutes les crues en les évacuant à l’aval dans l’Orge. Ainsi au cours des millénaires, elle modela son profil en long, façonna sa pente, sculpta ses berges, calibra sa section et les crues dans leur ensemble ne provoquaient pas d’inondation.

Deux fois par siècle, la rivière submergeait des zones de faible surface et de densité de population médiocre, pendant quelques jours, mais les dommages causés restaient sans gravité, d’autant plus que les riverains, connaissant bien son régime lent de plaine, prenaient le maximum de précautions sans se bousculer. Comment alors expliquer que depuis une demi-douzaine d’années, l’Yvette débordait régulièrement ? Le lit subit-il des modifications et dans quel sens ? Le débit maximal augmenta-t-il et pourquoi ?

Dans la phase d’expansion consécutive à la seconde guerre mondiale, les Directions Départementales de l’Équipement (DDE) ont construit des chaussées, lancé des ponts par-dessus les cours d’eau, bâti des murettes le long des rives, fermé des canaux de moulins hors service. Une végétation anarchique envahit le bord des fleuves et des rivières. Les ponts freinent le courant, les murettes rétrécissent le passage de l’eau, la fermeture des canaux et l’exubérance de la végétation rarement nettoyée opposent des obstacles. L’Yvette a donc subi des bouleversements.

Rappelons-nous le bouchon créé dans le chéneau du pavillon de Martin par les feuilles de platanes arrachées par le vent. Alors même que chacune prise isolément n’apportait rien de perceptible, l’ensemble a engendré les débordements en amont de l’obstacle.

Quant à l’Yvette, l’encombrement du lit et le freinage du courant ne peuvent justifier seuls la succession des crues de ces dernières années. Faut-il en outre tenir compte de l’hypothèse de l’augmentation du débit maximal ?

Or, le sol rassemble des particules, mélange d’argile, de limon, de sable et de matières organiques, séparés par des interstices et agglomérés en toutes petites mottes ménageant des espaces où l’air circule. Il réagit comme une éponge qu’une ménagère presse ou gorge d’eau, en modifiant le volume relatif d’air et d’eau dans les cavités de cette éponge. Dans la nature, la pluie comble les poches d’air du sol, la chaleur les vide par évaporation et les fissures des roches sous-jacentes les drainent par gravité.

Le sol est un réservoir, qui se remplit et se vide au rythme des conditions météorologiques et où les racines des plantes puisent l’eau et la nourriture. Que ce réservoir se vide et les plantes s’épuisent en vain à extraire le liquide absent au risque de mourir de déshydratation ! Qu’il se sature trop longtemps et les plantes s’exposent à mourir d’asphyxie ! Seule, l’eau en excès ruisselle sur le sol et rejoint la rigole la plus proche.

Dans le bassin parisien où se situe Gif-sur-Yvette, le sol riche et profond atteint un mètre d’épaisseur, absorbe une lame d’eau de quinze à vingt centimètres et limite le nombre des inondations à quelques-unes par siècle. L’agriculture moderne accentue les inondations par érosion superficielle en abaissant la capacité du réservoir naturel du sol et intensifie les périodes de sécheresse en diminuant la lame d’eau utilisable par les plantes.

Avec la vogue du remembrement, la grosse exploitation chassa la petite. Le bocage, végétation disséminée dans le paysage français depuis le Moyen âge, disparut au profit de champs sans limites et traversés par des fossés de drainage favorisant le ruissellement. Conséquence plus grave encore, l’urbanisation tentaculaire supprime ce réservoir partout en installant des couvertures imperméables, toitures, terrasses bitumées, chemins asphaltés, aéroports, gares… L’agriculture et l’urbanisme s’allièrent pour accroître le débit des cours d’eau. Les riverains de l’Yvette, comme tous les Français, redoutent donc la recrudescence des inondations depuis plusieurs années, ayant simultanément augmenté le ruissellement des eaux sur le sol et diminué l’écoulement dans le lit.

Nous évaluerons plus tard l’importance de cette altération.


  • Planification internationale

En une décennie, l’ONU mit en place une planification internationale de lutte contre la pollution des eaux superficielles à laquelle adhérèrent tous les pays du monde. Elle inventa  un nouveau concept physique, l’équivalent-habitant ou EH, grâce auquel la pollution put être définie et traitée dans le cadre humain, animal et agricole. Elle définit également la seule structure géographique  d’intervention efficace, le bassin versant fluvial, cette unité étant elle-même subdivisée en sous-bassins, ainsi que la structure administrative correspondante, dont l’Agence de Bassin constituait la pièce maitresse.

En outre, la pollution industrielle, pour laquelle l’EH était inadapté,  fut répertoriée sur la base de centaines de paramètres qualitatifs et quantitatifs, permettant d’élaborer d’abord des redevances financières en conformité avec les nuisances, puis d’entreprendre la lutte contre ces mêmes nuisances (Qui pollue paie, qui dépollue sera aidé). Ce système pouvait être complété par le dernier aspect non traité, la pollution bactériologique. Ainsi la pollution des eaux abandonnait le terrain politique et médiatique autorisant toutes les dérives idéologiques pour revêtir enfin son aspect scientifique et technique doué d’efficacité.

La France se conduisit en bonne élève. Le projet se concrétisa rapidement en élaborant et en appliquant la loi cadre de décembre 1964. Six Agences de Bassin virent le jour, quatre grandes essentiellement responsables des quatre principaux fleuves français, deux plus petites tournées par le Benelux et l’Allemagne. Venant de diriger la plus importante étude du monde relative à la protection contre les crues au Bangladesh, j’intégrai l’Agence de Bassin Rhône-Méditerranée-Corse (Agence de Bassin RMC) à l’époque de sa création. En tant que chef de Division, je fus chargé de promouvoir l’ensemble des études, de définir la mise en place pour le Bassin d’une méthode de protection contre les crues et d’établir le systèmes scientifique de redevances industrielles sous forme informatisée, ce qui constituait alors une innovation.

Le Directeur de l’Agence RMC, obligatoirement un haut fonctionnaire, était très compétent et financièrement autonome, si bien que les Divisions, au nombre de 5 ou 6, disposaient de moyens nécessaires à leur bon fonctionnement et l’Agence était très dynamique. Cependant pour des raisons restées obscures, une décennie plus tard, lorsqu’il fut promu pour six mois au dernier poste de sa carrière précédant la retraite, il décida de licencier tous les chefs de Division avant l’arrivée de son successeur.

Puis il traita avec dédain l’information que j’avais modernisée sous forme de cartes perforées concernant le réseau de stations de mesures limnimétriques journalières, plus d’une centaine de stations ayant fonctionné plusieurs décennies. Les données de milliers de stations-années hydrologiques furent d’abord stockées dans un réduit sans protection, endommagées, un comble,  par dégât des eaux, puis envoyées à la déchetterie). Je considère ce geste comme ayant entraîné une perte irrémédiable considérable.

D’autre part, la méthode de protection contre les crues testée sur l’Orb, cours d’eau déjà nommé, allait être appliquée d’abord dans le cadre de l’aménagement général de l’Ardèche, puis ultérieurement de celui du Gard. Ce premier  aménagement ne vit jamais le jour malgré la réalisation complète des études. Je ne sais si ces études existent encore actuellement ou restent disponibles et ne nécessitent qu’une simple réactualisation.

Ainsi, on comprend que la protection contre les crues d’un cours d’eau exige pour être entrepris des relevés potamologiques précis répartis sur au moins vingt ans, mais de préférence sur un demi-siècle ou un siècle. À l’échelon national, la protection contre les crues ne débute pas à partir du néant et existent en sommeil tous les éléments pour mener rapidement à bien une action efficace. Pour des raisons de clarté, j’examine d’abord le cas de Paris avant de proposer un plan national.


  • Cas particulier de Paris

Les armoiries de la ville de Paris représente un voilier d’argent sur fond de gueules et surmontant la devise latine bien connue « Fluctuat nec mergitur », universellement traduite par « (ce voilier) est battu par les flots, mais ne sombre pas ». Cette devise apparue sous Philippe Auguste, largement justifiée par sa longévité, devint un slogan de résistance au terrorisme à la suite de la vague d’attentats du 13 novembre 2015 à Paris.

Du point de vue des inondations, Paris est-il aussi insubmersible qu’il y parait ? Dans ces conditions, cette croyance n’est-elle pas devenue un mythe ? Examinons ce problème en détail, posons les vraies questions, donnons-leur des réponses adéquates, prenons les décisions qu’elles méritent et matérialisons-les sans d’inutiles délais.

Sera utilisé le modèle type non décrit dans la présente note, le modèle des crues de l’Orb. Les conclusions de cette étude sont étonnantes : Les grands travaux de protection très coûteux sont plus souvent nuisibles qu’utiles en aggravant le phénomène naturel. La protection contre les crues exige souvent des travaux dérisoires et rapporte beaucoup d’argent, mais exige une grande compétence technique rendue souvent inopérante parce que freinée par la rigidité administrative.

J’hésite à citer le cas incroyable de la destruction de lignes électriques sur des centaines de kilomètres par un phénomène naturel, la neige collante (ou wet snow) entraînant parfois des milliards d’euros de dégâts. La neige collante, dont la chute est rendue oblique par un vent léger, en se fixant sur un câble électrique crée un couple de torsion dont le moment est équilibré par un couple anti-torsion grâce à la pose à intervalles réguliers sur ce câble de cercles de 15 à 20 cm de rayon et formés eux-mêmes d’un fil d’acier de 1,5 ou 2 cm de diamètre. Le prix unitaire de tels cercles qui suppriment les dégâts, qui se chiffrent parfois en G€ (gigaeuros), est de l’ordre d’un euro ! La solution ne fut recherchée, découverte et appliquée qu’après un demi-siècle d’inaction intellectuelle.

Ouvrages de protection de la ville de Paris

La Seine (776km) a pour principaux affluents de la source à l’embouchure : l’Aube (248km, RD = affluent de rive droite), l’Yonne (293km, RG), le Loing (166km, RG), la Marne (525km, RD), l’Oise (302km, RD, grossie de l’Aisne, 280km, RG), l’Eure (225km, RG). Elle prend sa source à 471m d’altitude et la superficie de son bassin versant est de 78.650km2.

Les ouvrages de protection de la ville de Paris sont essentiellement des barrages-réservoirs.

1
Avec :

(a) Barrages écrêteurs de crue, de soutien de débit d’étiage et d’alimentation en eau potable.
(b) Toutes les digues sont en terre (barrage poids), sauf celle de Pannecière, en béton.
(c) Situé près de Saint-Dizier (Haute-Marne).
(d) Somme pour les deux lacs, Auzon-Temple (1840ha) et Amance (480ha).

Mais il y a lieu de considérer aussi les facteurs de ruissellement.

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 (a): selon pente et perméabilité des sols.

Le coefficient de ruissellement d’une surface donnée est le rapport de l’eau (exprimée en hauteur) qui ruisselle de cette surface à la précipitation correspondante tombée sur elle. Les valeurs sont conformes à  la méthode globale avec coefficient moyen.

Ce tableau montre que le principal facteur de ruissellement provient de l’activité humaine, qui influe sur les structures et sur la densité d’occupation des sols.

Protection de Paris contre les inondations

Du temps d’Astérix le Gaulois, le bassin parisien se comportait comme un assemblage subtil de réservoirs naturels communiquant en série et en parallèle, topographie du cours d’eau, horizons pédologiques avec leur structure multipliant les interstices, substratum géologique fissurée en relation avec les dépôts superficiels et les nappes phréatique, fluviale et profonde dans un environnement d’évaporation et d’infiltration (à l’exception de la nappe albienne fossile vers six cents mètres de profondeur).

Citons en passant la vocation d’Achères, commune du département des Yvelines située non loin de la Seine : la profondeur de ses sols, leur pouvoir d’infiltration et d’épuration des eaux furent utilisés sur une vaste échelle pendant des décennies pour recharger la nappe.

Sur la base d’un bassin partiel de mille kilomètres carrés, d’une couche pédologique de deux mètres de profondeur, d’une structure ménageant des vides efficaces de quinze à vingt pour cent, on peut vérifier que cet assemblage encaissait avant tout remplissage les précipitations océaniques les plus violentes (fréquence vingtennale et même centennale) et stockait un volume de trois à quatre cents millions de m3. Et que dire du bassin complet (>78.000km2 ) ou même de la région de l’Île-de-France (12.000km2) ou la capacité s’exprime en milliards de m3 ! Bref, Astérix le Gaulois avait d’autres soucis en tête et il n’avait pas à intégrer la moindre notion d’inondation !

Qu’est devenu de nos jours l’efficacité d’un tel assemblage ?

Le tableau intitulé « Coefficients de ruissellement », fournit une approche de la solution. Ces coefficients évoluent de 0,05 ou 0,10 pour l’impénétrable forêt gauloise à 0,85/0,90 pour un sol devenu un revêtement quasi imperméable de tuiles, de béton et d’asphalte sur des milliers de kilomètres carrés. Les réservoirs alimentés par l’infiltration, propriété inverse du ruissellement, voient leur volume se rétrécir comme une peau de chagrin. Il y disparaît une retenue comparable, voire supérieure, à celle de la retenue témoin du tableau, celle de Serre-Ponçon, une des plus vastes d’Europe. Cet assemblage ne fonctionne plus.

Que propose-t-on de lui substituer ? Partons du tableau intitulé  « Barrages-réservoirs du Bassin parisien ».

Le Bassin parisien comprend une région de plaines et supporte une forte urbanisation. Pour ces deux raisons, il n’existe pas de sites de barrages efficaces de construction aisée, créant une retenue ayant un volume important et un plan d’eau de surface restreinte. Le tableau mentionné antérieurement révèle les imperfections inhérentes à ce système de barrages-réservoirs. Ces quatre barrages sont plutôt localisés à l’amont et ne peuvent donc pas intégrer la genèse aval des crues.

Le volume de chaque retenue reste limité et ne dépasse donc pas celui permis par la technique appliquée en montagne entre les deux guerres mondiales. Ainsi le comblement de retenue peut être rapide. La surface du plan d’eau est prohibitive pour la fonction assignée. L’évaporation demeure donc élevée malgré l’avantage du climat. À volume égal et sous un climat identique à ceux de Serre-Ponçon, l’évaporation est cinq fois plus forte.

S’ajoute à ces inconvénients une gestion multiple dont les trois fonctions, protection contre les crues, soutien d’étiages, alimentation en eau potable de l’Île-de-France, peuvent se superposer et s’exclure selon les situations et les saisons, d’autant plus que la gestion simultanée de quatre barrages est plus complexe que celle d’un seul comme pour Florence.

Considérons les grandes crues avec entre parenthèses la hauteur limnimétrique atteinte par leur pointe à l’échelle du pont d’Austerlitz : janvier 1910 (8,62m), 1924 (7,52m), 1955 (7,14m), 1972 (6,16m), 1982 (6,15m). Il ne faut pas se laisser abuser par les niveaux annoncés, car les travaux réalisés dans les lits entre deux inondations modifient les correspondances entre hauteurs limnimétriques et débits d’une crue à l’autre. Il y a détarage de la station. Mais dans le cas présent, l’erreur n’altère pas les conclusions.

Notons pour le principe que le zouave du pont de l’Alma autrefois cher aux Parisiens ne sert plus à rien mais permettait de suivre un marnage de six mètres jusqu’à la crue du siècle. Il fut utilisé comme limnimètre pour la grande crue de 1910 qui atteignit l’épaule. Après dix jours de crue, le maximum survint le 28 janvier, puis s’amorça la décrue qui se poursuivit pendant cinq semaines. Seule, la pointe d’une crue intervenue en 1658 dépassa ce niveau, si elle est validée.

Le seul barrage de « montagne », celui de l’Yonne, opérationnel en 1949, n’est pratiquement d’aucune utilité pour Paris, comme le montre la crue de 1955 par rapport à celle de 1924. La construction du barrage de la Seine en 1966 amorça un écrêtement de crue, non une élimination complète. Celle du barrage de la Marne en 1974 apporta une nouvelle amélioration, non une solution définitive. Enfin celle du barrage mixte de l’Aube en 1990 par son volume restreint et sa localisation trop à l’amont participe davantage au soutient des étiages qu’à l’écrêtement des crues. De plus, les barrages sont rarement vides au moment fatidique.

La première conclusion rejoint celle des gestionnaires : la mise en place des barrages-réservoirs de la région parisienne n’assure pas une protection importante contre les crues, mais seulement leur écrêtement. Dans les conditions les plus favorables, ce système aurait laminé la crue du siècle (1910) de 0,70m dans Paris. Il fut donc complété par des travaux annexes, recalibrage de lit, surélévation de digues … La deuxième conclusion porte sur la fragilité de ce complexe qui vieillit avec le temps par comblement progressif de retenues tandis que l’activité humaine augmente le ruissellement par imperméabilisation des sols et le Bassin parisien reste sous la menace d’un régime d’inondations endémiques.

Nous en voulons pour preuve la mise en chantier d’un projet supplémentaire après vingt-quatre ans d’attente. Notons au passage le prix élevé de ce dernier projet par rapport aux dommages actualisés de la crue de 1910, le volume restreint de la retenue vis-à-vis de la surface prohibitive du plan d’eau, la gestion délicate d’un confluent pour une protection douteuse contre les crues.

L’imperméabilité du revêtement supprimant les échanges hydrométéorologiques dans les deux sens entre sol et sous-sol, l’activité anthropique cumula l’aggravation des crues, des étiages, des sécheresses et du déficit de l’alimentation en eau par les nappes (autre que celle fossile et non renouvelable dans les terrains albiens à six cents mètres de profondeur). En outre, ce problème dramatique n’est ni uniquement parisien, français ou européen, il est mondial, et la situation des deltas, qui supporte toutes les erreurs provoquées à l’amont est devenue catastrophique.

Le constat doit-il s’arrêter là ?

Que représente le Métro de Paris depuis la crue de 1910 ? La première ligne s’ouvrit en juillet 1900 durant l’Exposition Universelle et l’ensemble fut pratiquement achevé en 1920, sans interruption durant la première guerre mondiale. Il comportait alors 13 lignes. Depuis lors au cours des années 30, il fut complété par une ligne et deux extensions. Il occupe maintenant une longueur de 214 km et a subi de nombreuses améliorations. En première approximation, on peut admettre que le métro de 1910 occupait un parc identique à 40% et une valeur en devises égales à 30% à celui de 2016. Or ce patrimoine, que j’ai pris comme exemple parce qu’il est souterrain, est fragile au niveau d’une crue centennale, d’autant plus que le réseau d’égouts soulève des problèmes quasi insurmontables actuellement, y compris l’invasion par les rats et un début de déclenchement des épidémies.

Revenons sur la crue centennale. C’est une crue qui se reproduit statistiquement et n’est donc pas un phénomène centenaire. Pour plus de compréhension, traitons de la crue vingtennale chère à Enrico Macias. Supposons répertoriées les quatre-vingt crues les plus importantes (par le débit de pointe de crue) durant  la période de deux cents ans qui aboutit à aujourd’hui dans le cadre d’un fleuve, ici le Rhône au niveau d’une île bien définie. Classons-les par ordre décroissant. La huitième représente la crue vingtennale.

Et maintenant, je prie le lecteur de me pardonner cette approche simpliste. Qu’est-ce en effet qu’une crue importante ? Pour un monument solidement bâti, c’est le niveau du plan d’eau qui intervient et demande un nettoyage ou une restauration de couleurs ; pour un champ, c’est le débit de pointe, car le champ est sensible à l’érosion par le courant ; pour l’irrigation à partir d’une retenue de barrage, c’est le volume global de la crue etc… Pour déterminer la crue centennale, l’analyse est davantage délicate, car pour rester aussi précis que dans le cas précédent, il faudrait un millénaire d’observations. Bref, cette analyse est une affaire de spécialistes, mais ne doit pas échapper sous une forme approchée à des amateurs éclairés.

Il est expédient de choisir la crue de 1910 comme crue centennale, car elle est bien connue contrairement aux crues antérieures, celle de 1658 en particulier, et toute précision supplémentaire serait illusoire, car il y a évolution de la Seine, ne serait-ce que la croissance très forte de l’imperméabilité des sols qui favorise le ruissellement à l’amont de l’écoulement dans le lit du fleuve. Les parisiens redoutent donc l’arrivée d’une crue de l’importance de celle de 1910  (hauteur limimétrique et débit de pointe) sur une ville en expansion.

Que fait donc la Seine River Authority ? Le traumatisme des parisiens passera celui des florentins, la ville de Paris sera battue par les flots et oubliera emblème et devise, d’autant plus qu’une partie non négligeable de nos trésors artistiques est placée en zone inondable. Est-ce par stupidité ou par ignorance crasse que la Haute Administration, le Gouvernement et l’État font uniquement confiance dans la résilience des parisiens à supporter les coups du destin sans proposer d’alternative technique ou plus précisément sans la réaliser? Attendent-ils que les terroristes  sortent de leur préhistoire ? Seule solution : les assurances paierons !

Je me permets d’invoquer la sagesse bangladeshie, basée sur un expérience agricole millénaire et qui distingue deux natures d’inondation. La crue de type « Barsha » modérée et fréquente, entretient la prospérité et la vie, et la crue de type « Bonna », violente et rare, apporte la catastrophe et la mort. La protection contre les inondations au Bangladesh consiste à transformer, autant que faire se peut, une crue Bonna en crue Barsha.

En outre, les Bengalis s’inspirèrent de leurs pratiques culturales. Durant des siècles, ils sélectionnèrent le riz et mirent au point une variété dont la tige croît entre le repiquage et la récolte en s’allongeant à la vitesse de la montée des eaux. Cette variété se nomme riz flottant. En effet, les maisons villageoises d’un étage, basses et légères, construites sur pilotis, reposent sur le sol huit mois de l’année. Mais chaque pilot s’allonge à la demande par adjonction de tiges de bambous liées entre elles. Ainsi le village, qui constitue un village flottant,  monte et descend au rythme de la crue et de la décrue.

Remarquons que les Australiens du sud du continent prennent pour base d’édification d’habitations en zones inondables, les plus hautes eaux observées avec une marge de sécurité de 50cm au minimum, l’implantation sur pilotis (de longueur fixe) étant de rigueur.

Enfin, à partir de données précises fournies avec célérité par les Américains et les Japonais sur les tsunamis, les bénévoles bangladeshis informaient leurs concitoyens du danger imminent en épargnant des milliers de victimes. Ils se déplaçaient sur la plage à bicyclette en klaxonnant ou à pied armés de haut-parleurs et diffusaient des messages précis dans la langue du pays et en anglais, de la forme : « un raz de marée de force 5 est attendu dans une heure ». Les individus fuyaient alors les bordures de l’océan en attendant que le cataclysme soit passé et se réfugiaient derrière des bâtiments en béton de deux ou trois étages distants de quelques centaines de mètres et conçus pour briser le raz de marée.

La sagesse bangladeshie nous indique la voie à suivre.

Naturellement, la protection contre les crues de la Seine doit imposer une planification à long terme qui s’inspire de la connaissance détaillée des hauteurs limnimétriques atteintes par la crue de référence, d’une marge de sécurité, de la vitesse de montée et descente des eaux, de la mise en place de modèles réduits. Mais s’avèrent urgent un nettoyage vigoureux du lit du fleuve et des atterrissements autour des arches des ponts de la capitale et la construction de plans hors d’eau à des cotes règlementaires pour la sauvegarde de nos trésors artistiques abandonnés par incurie en zones inondables. De plus il ne faut pas négliger la formation des populations concernées et l’information pratique sur les risques encourus.

  • Plan national de protection contre les crues

Le plan de protection de la région parisienne doit obligatoirement s’inscrire dans un plan national plus vaste incluant toutes les villes situées en zones inondables.

Les habitants du midi de la France sont très sensibles à la notion de crues, tant les inondations dans ces régions sont violentes et imprévues. Ils ont même créé un nouveau vocable pour définir le phénomène, les vidourlades, dérivé du nom du fleuve côtier du Gard et de l’Hérault. Souvent, ils matérialisent une pointe de crue par un trait horizontal et une date sur un mur. J’ai lancé à l’époque une campagne de rattachement au système NGF des relevés topographiques de ces données, qui révéla une grande cohérence et permit une extrapolation régionale du phénomène.

Le Rhône, le plus puissant des fleuves français, offrait trois motifs d’aménagement, production d’énergie, navigation, irrigation. C’est pourquoi fut créé en 1933 la Compagnie Nationale du Rhône (CNR), puis l’infrastructure complète permettant de valoriser un tel potentiel. En face de réalisations particulièrement réussies, comme l’aménagement complet du Rhône, il faut regretter des atermoiements ou des velléités, comme le projet Seine-Europe du Nord où la navigation à grands gabarits relie la frontière française à la Russie tout en laissant notre pays isolé du reste du continent européen.

Alors qu’il y a un demi siècle, la France avec la Grande Bretagne constituaient les deux plus grandes nations hydrologiques mondiales et produisaient des milliers de spécialistes dans ce domaine, les instances dirigeantes de notre pays ont détruit ce précieux capital au point que dans le pays qui a rendu opérationnel le Canal du Midi dès 1667, on ne trouve même plus en librairie d’ouvrages spécialisés directement consultables. Le récent ouvrage sur les inondations remarquables en France (Michel Lang et Denis Cœur, coordinateurs) relève non d’une initiative nationale, mais en réalité de la directive européenne 2007/60/CE du 23 octobre 2007. Le livre équivalent précédent remonte à … Napoléon III (Maurice Champion) !

L’aménagement du Rhône est justifié par le potentiel de ce fleuve, mais les fleuves côtiers et secondaires ainsi que les principales rivières peuvent faire l’objet d’aménagement de vallée conçu sur le même principe. De nombreux projets furent entrepris par les spécialistes puis jetés au placard par les politiques au stade de leur réalisation, ce qui implique qu’ils restent parfaitement utilisables, lorsqu’ils n’ont pas été détruits. Dans le cadre du bassin RMC, je pense en particulier sans exclusive aux vallées de l’Ardèche, du Gard, de l’Hérault et de l’Orb.

Ces actions sont rendues particulièrement possibles, par une planification par les instances internationales et à laquelle le France fut partie prenante : la mise en place d’infrastructures nationales avec unités et sous unités naturelles de développement. Pour des raisons politiques, l’état ignora ensuite cette structure et en superposa une autre artificielle en se faisant passer pour un innovateur. Je rappelle à ce sujet que les départements français furent découpés d’après le principe que la plus grande longueur devait être franchie en 1789 en une journée par un char attelé à des bœufs ! Je mentionne aussi que les provinces furent dessinées par des avatars historiques se succédant sur un millénaire. S’accrocher à de telles structures relève de l’anachronisme et de l’inefficacité.

Par ailleurs, on ne peut faire l’impasse d’une constatation affligeante grave de conséquences : la nation détruit environ la moitié des richesses produites, que ce soit en transformant la nourriture en déchets, en détruisant l’information ou les travaux publics produits à grand renfort de techniques sophistiquées, en multipliant les doublons administratifs ( 2 projets identiques, il n’existe hélas pas de mot pour dire 3, 4 ou 5 ), en entreprenant des projets indispensables non menés à leur fin et en réalisant des projets inutiles, en confiant des postes fonctionnels à des incompétents, en disqualifiant le potentiel scientifique et en rejetant vers les États-Unis et le monde anglo-saxon le personnel qualifié, en ridiculisant l’enseignement français, en refusant systématiquement d’utiliser l’outil performant présenté plus haut dans le cadre de l’ingénierie …

L’aspect économique de notre conduite doit être complètement revu. Abaisser de moitié le  gaspillage consiste à augmenter d’un quart le niveau de vie moyen sans produire davantage.

Au lieu de réaliser au cours d’un quinquennat un ou deux grands projets dans les domaines international, national et régional, une politique bien conduite permettrait d’entreprendre un grand projet par trimestre, soit une vingtaine durant les cinq prochaines années, c’est-à-dire de valoriser le plan national de développement français et de fournir un sujet d’espoir aux habitants de notre pays. Le thème du présent exposé porte essentiellement sur la protection contre les crues, ce qui n’exclue pas une extrapolation sur les aménagements intégrés de vallées.

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Chapitre III

Les novateurs

  • Introduction

Je présente ci-dessous l’action de novateurs œuvrant  seuls ou en groupes.

  • Liaison fluviale France-Europe

Que penser si les routes de Paris à Marseille étaient toutes interrompues sur un tronçon à la hauteur de Macon et si la jonction devait être parcourue en char à bœufs ? Que penser si en outre un élu local s’opposait à la construction de ce tronçon en prétextant qu’elle est inutile parce que la circulation actuelle  déficiente ne serait pas améliorée après réalisation de la jonction ?

Or, que constate-t-on à l’examen d’une carte de liaison fluviale européenne ? Il existe un réseau de 20.000km de voies fluviales à grand gabarit couvrant les Pays Bas, la Belgique, l’Allemagne  et desservant également Vienne, Bratislava, Budapest, Belgrade et jusqu’à la Mer Noire. Cet immense réseau déborde légèrement sur la frontière franco-belge, mais la France en est pratiquement exclue.

Que constate-ton encore ? Les ports de Paris, de Rouen et du Havre restent isolés parce que sur une distance de l’ordre de 100/110km entre l’Oise et le canal de Dunkerque à Valenciennes, il n’existe aucune liaison, ou plus exactement, il n’existe qu’une liaison à petit gabarit. On ne peut pourtant pas reprocher à Napoléon d’avoir construit un ouvrage rendu obsolète par le progrès deux siècles plus tard.

Paris, le plus grand port de France, Rouen et le Havre restent isolés parce sur 100/110km  entre Compiègne et Cambrai, la jonction est classée comme canal à petit gabarit. À la question : Tel projet sera-t-il réalisé ? Dans les pays étrangers, on répond par « oui » ou « par » non. En France, on ajoute une troisième réponse, d’ailleurs la plus fréquente : « peut-être ». Les projets français restent dans l’incertitude souvent pendant des décennies, voire des siècles.

Nous sommes placés dans une telle situation en ce qui concerne le maillon faible de la navigation fluviale à grand gabarit, c’est-à-dire pour le projet Seine-Nord de l’Europe. Politiquement, ce fut d’abord un « oui » hésitant chassé plus tard, les investigations ayant débutées, par un « non » catégorique, et remplacé ensuite par un « peut-être »  plus ou moins provisoire, si bien que lorsqu’on veut relancer le projet, on s’entend dire qu’il est en cours d’analyse.

Par ailleurs, les organismes financiers, qui ne s’intéressent pas à l’intérêt national, ont refusé implicitement le financement du projet sous forme de prêts en maintenant la phase du « peut-être », si bien que l’Europe, qui n’est pas réputée pour son dynamisme, a fini par s’énerver et offert une participation de 50% pour les études et 40% pour les travaux, si la France répondait « oui ». Est-ce insuffisant ? L’avancement du projet en est là, car la défaillance bien réelle du tronçon de Compiègne à Cambrai  n’est pas sans rappeler la solution de continuité fictive de circulation moderne au nord de Macon. Une prompte solution positive s’impose à ce problème indéfiniment non résolu.

À ce sujet, je remarque qu’il est plus facile pour les ingénieurs français de diriger des grands travaux à l’étranger qu’en France. Ferdinand de Lesseps fut le promoteur du projet le plus grandiose de son temps, la construction du Canal de Suez de 1859 à 1869, d’après le mémoire de l’ingénieur Jacques-Marie Le Père rédigé sur les instructions de Napoléon. Mais la Grande-Bretagne comprit avant la France qu’il fallait devenir le principal actionnaire. Puis Ferdinand de Lesseps entreprit en 1881 la construction transocéanique du Canal de Panama, deux fois plus court, mais avec dénivellation, situé en zone au climat débilitant, au relief tourmenté. Pour le financement, il acheta hommes politiques et journalistes (Eh oui, un tel achat est possible !). Le chantier inachevé fut abandonné  en 1888. Ce qui conduisit à un procès, une condamnation de Lesseps, une main mise américaine sur le canal achevé.

J’ajouterai deux remarques hors sujet. Premièrement, la cartographie de la région bordelaise donne à tord l’illusion d’un tronçon  fluvial à grand gabarit complètement isolé de l’intérieur de la France, alors que le port de Bordeaux est magistralement tourné ver le grand large. Deuxièmement, le monde politique parle à tord et à travers de l’unité de l’Europe, alors que l’aménagement du Danube à la manière de celui du Rhône conduirait avantageusement vers l’unité de ce bassin central balkanisé par l’histoire.

  • L’enseignement des adultes

J’ai découvert  qu’il existait implanté dans la ville de Grenoble et dans la région environnante un organisme digne d’intérêt, l’Université Inter-Âges du Dauphiné (UIAD). Quel est son statut officiel et quelle est sa mission ? Il s’agit d’une association privée sans but lucratif qui a choisi de fournir un enseignement aux adultes, quel que soit leur âge. Elle fonctionne depuis quarante ans à la satisfaction générale, reste financièrement autonome à 95%, regroupe 6.800 adhérents.

Elle s’appuie sur de nombreux bénévoles ou des professeurs acceptant un revenu modeste. Le niveau d’enseignement est très élevé, par exemple, l’un des professeurs récemment décédé, Michel Soutif, ingénieur atomiste et conseiller auprès de la ville de Shanghai, avait mis en place un cours d’histoire des nations asiatiques avec les précurseurs, des états comme l’Iran et les superstars, Chine, Japon, Inde et Corée, cours n’ayant pas d’équivalent en France dans l’enseignement public ou privé.

Elle n’a jamais connu de grèves. Les élèves se ventilent en deux tiers de femmes et un tiers d‘hommes, les trois quarts ayant un niveau de deux ans au-dessus du baccalauréat, le dixième étant rattaché à des antennes hors Grenoble, la moitié ayant fait carrière dans la fonction publique.

Le plus curieux est la variété des matières enseignées.

Les langues vivantes constituent un point fort mais sans exclusive. La définition du niveau d’apprentissage entre dans le Cadre Européen Commun de Référence des langues, à savoir six niveaux, le plus bas consistant à communiquer avec des messages simples dans un contexte quotidien, le plus élevé à utiliser la langue avec aisance en argumentant sur des sujets complexes, par exemple un cours sur l’Inde d’aujourd’hui.

Il existe dix disciplines, naturellement anglais, espagnol, russe et chinois, langues officielles de l’ONU, avec leurs variantes continentales, américain et sud-américain, puis allemand, italien, grec moderne, mais aussi langues de nos voisins, arabe littéraire ou dialectal mis en valeur par les évènements récents, japonais, langue dite rare. Se rattachent à ce contexte les langues mortes, classiques ou non, dont les hiéroglyphes.

L’informatique est très développée. Elle s’étend jusqu’aux logiciels les plus divers, à l’utilisation de matériels particuliers et à des montages spéciaux, diaporama et autres, et conduit à la maîtrise universitaire.

Parmi les arts, on rencontre l’art roman en trois ans comportant de nombreuses visites commentées en France, en Italie du Nord et en Espagne du Nord.

Les sciences sont très présentes, aussi bien la bactériologie, l’entomologie ou la géologie en quatre ans avec déplacements dans le monde entier, que l’énergie et climat, l’astrophysique, la relativité et la mécanique quantique.

Je note aussi des domaines tels que l’histoire des arts et des civilisations ; les arts plastiques ; les lettres et philosophie ; le cinéma, musique et théâtre ; les sciences humaines et sociales ; mais comme il est difficile d’imaginer la variété des cours, je finirai par l’apiculture pratique et le cours sur le musée de Grenoble professé directement à l’intérieur de celui-ci.

Naturellement, une telle initiative ne peut rester unique et doit dorénavant s’épanouir dans plusieurs villes cultivées de France.

  • L’enseignement primaire des langues vivantes

Lorsque j’étais potache, mon professeur d’allemand très littéraire souleva le problème de la traduction de l’allemand en français et réciproquement. Il nous dit : Si je traduisais la phrase  « Mignon, kennst du das Land wo die Zitronen blühen ? » par « Mignonne, connais-tu le pays où fleurit l’oranger ? », mon professeur me mettrait zéro, alors qu’il s’agit exactement de la correspondance adoptée par le célèbre Opéra-comique.

Il nous cita un second exemple personnel où il avait passé un examen très officiel. Il traduisit l’expression « Bestechungspolitik » par « politique du pot-de-vin », expression très française à la place de l’expression plus académique de « politique de corruption ». On lui fit remarquer qu’il avait commis une faute de traduction.

C’est pourquoi mon meilleur copain, volontiers impertinent, tenta une expérience  avec cette fois-là le professeur d’anglais, qui nous donna une version à traduire d’un texte d’un certain « Christmas Carol » de Charles Dickens. Il s’agissait de ce misérable Ebenezer Scrooge qui reçut la visite de son ancien associé Jacob Marley, pourtant vraiment mort, ni plus ni moins que le clou d’un portail. Mon copain consulta la meilleur traduction du « Conte de Noël » en librairie et copia le passage in extenso. Il obtint une note catastrophique. Intervenant auprès du professeur, il obtint la réponse suivante : « La traduction des livres est souvent très mauvaise ». (Cela reste encore plus vrai pour le logiciel de traduction Goggles, car la traduction n’est pas une opération biunivoque).

Bref, les notes données pour les travaux de traduction au lycée étaient distribuées sans avoir défini officiellement selon quels critères elles étaient établies. La traduction est un exercice si difficile que les traducteurs de l’ONU sont largement rémunérés. En outre, l’enseignement des langues correspondait à l’âge de la puberté, période où cet enseignement est le moins efficace, car l’adolescent hésite à parler devant les autres en faisant des fautes, car il craint les moqueries. Enfin, comme l’indique le substantif langue, qui désigne simultanément un organe et l’usage de cet organe pendant que l’on parle, l’être humain apprend une langue en parlant, non en écrivant. Les langues anciennes non parlées sont par définition des langues mortes.

Lorsque nous nous sommes installés à Khartoum dans le cadre de ma profession, ma femme hésita pendant plusieurs semaines à parler anglais par crainte de s’exprimer imparfaitement. Heureusement, sous la pression des impératifs quotidiens, elle surmonta son appréhension. Elle venait d’acquérir une précieuse qualité, celle de se sentir à l’aise dans toutes les circonstances où l’on doit parler et dans tous les pays du monde, au point de prononcer plus tard des conférences en anglais.  Pendant ce temps, ma fille âgée de quatre ans, babillait sans complexe avec tout le monde dans un volapük personnel où dominait les mots anglais et se faisait comprendre sans difficulté excessive.

Un jour à Cervia, sur la côte adriatique, ma fille de sept ans jouait à la balançoire, je veux parler de l’escarpolette qui fonctionne à la manière d’un pendule, lorsque je la vis en apparente conversation animée avec deux vieilles dames. Par curiosité, j’approchais et je compris que ces dames parlaient en italien. L’une d’elle me fit remarquer que ma fille s’exprimait bien dans cette langue, qui était la seule qu’elles parlaient.

Très surpris, j’entendais une telle remarque pour la première fois et ne comprenais pas, d’autant plus que nous n’étions arrivés en Italie que depuis quelques jours. À la réflexion, je n’imaginais qu’une hypothèse. En une semaine, ma fille, à l’affut de son environnement comme tous les enfants de son âge, avait enregistré d’instinct les sonorités de la langue italienne par analogie avec le français et comprenait globalement et non mot à mot ce qu’on lui disait. Mais comme elle répondait dans sa langue maternelle, les deux dames n’avaient pas discerné qu’une longue cohabitation avec les touristes français dans cette station balnéaire les avaient peu à peu imprégné des sonorités d’un langage voisin du leur. Ainsi toutes se comprenaient, chacune parlant sa propre langue.

Cette caractéristique me fut confirmée par un collègue d’origine espagnole, nommé Antoine, vivant en France depuis sa plus tendre enfance. Sa grand-mère paternelle était espagnole et sa grand-mère maternelle était italienne, mais n’avait jamais appris la langue du pays dans lequel elle résidait sur la fin de sa vie dans un cadre familial agrandi. Les deux femmes conversaient souvent entre elles et sans difficulté alors que chacune avait conservé sa langue d’origine. Antoine lui-même avait oublié depuis longtemps sa langue maternelle et lorsque pour des raisons professionnelles il dut la réapprendre, il rencontra le premier mois de grosses difficultés, mais rapidement sa pratique s’accéléra.

Je n’irai pas plus loin. Nous dûmes garder notre petit fils extrêmement jeune  pendant quelque temps et lorsqu’il rejoignit sa mère australienne, il rencontra d’abord de vrais obstacles surmontés ensuite en quelques semaines. Ma petite fille parle couramment le français, mais ne l’écrit pas facilement. Même mon fils, quand il vient nous voir en France parle d’une manière hésitante le premier jour, mais la situation redevient ensuite normale.

À dieu ne plaise ! le monde politique évolue également. On trouve de plus en plus dans ce milieu des polyglottes, et même pour certains, le français fut une langue étrangère parfaitement assimilée. Si nous passons à la vitesse supérieure, les langues étrangères doivent être enseignées au moins au niveau de l’école primaire, mais non comme on les apprend au lycée.

Quelles sont les langues utiles pour un français ? Les langues internationales officielles sont au nombre de cinq, l’anglais, l’espagnol, le russe et le chinois (mandarin), outre le français, les deux premières étant les plus proches de nous. Par contre, l’allemand parlée dans une très grande puissance  industrielle et économique du monde, possédant  un riche passé culturel est traitée en parent pauvre, ce qui est une honte et une faute culturelle. Rappelons la facilité avec laquelle un enfant fait sien un langage et n’hésitons pas à lui donner un fond linguistique qui ressurgira plus tard.

Parvenu au lycée, l’enfant aura acquis le bon réflexe et l’on pourra exiger de lui de franchir naturellement au cours de son cursus scolaire les six niveaux d’apprentissage du Cadre Européen  Commun de Référence des langues, ce qui implique également un recyclage des professeurs.

  • L’instinct de survie

Je suis toujours resté surpris de constater que les touristes parvenus dans un pays étranger aux coutumes exotiques par rapport à la France prenaient peu de soin à réagir à un évènement imprévu capable de mettre leur vie en danger. Certains font preuve d’une inconscience inquiétante. L’instinct de survie du français paraît s’assoupir au contact d’une vie quotidienne routinière. Par contre, les expatriés ayant exercé une activité professionnelle internationale et ayant dû faire fréquemment face à des évènements déroutants réagissent dans les mêmes situations avec promptitude et efficacité. Ce développement de l’instinct de survie s’acquiert d’une manière tout à fait inconsciente.

Pour demeurer clair et crédible, je vais présenter un exemple familial dramatique s’étant déroulé en Asie anglophone.

À l’aéroport, après un passage en douane symbolique, les passagers montèrent dans les deux cars, qui s’arrêtèrent à l’entrée d’une piste secondaire. Des avions militaires s’alignaient sur la piste principale. Lorsque je fus assuré que le départ s’effectuerait dans de bonnes conditions, je descendis du car et retournai sur mes pas.

C’est alors que je me heurtai à une sentinelle montant la garde dans un abri  constitués de sacs de sable empilés les uns sur les autres. Surpris, l’homme se retourna vers moi, fit pivoter sa mitrailleuse dans ma direction, l’enclencha et me mit en joue. Il n’avait pas été prévenu de mon passage. Il parlait bengali  sans comprendre l’anglais et je parlais anglais sans comprendre le bengali. Ce que j’appelle, faute de mieux, mon cerveau reptilien se mit à fonctionner et l’instinct de survie prit le pas sur mon libre arbitre..

Je laisse maintenant la parole à ma femme Yvette.

Le car nous emmena par une voie secondaire et gardée par des sentinelles jusqu’à une piste d’envol défoncée où nous attendait un avion militaire anglais. L’accès de l’aéroport lui-même était interdit en raison des hostilités, car se trouvaient alignés là de nombreux avions militaires pakistanais.

Après des adieux tristes, car nous ne savions pas quand nous nous reverrions, Paul partit à pied en empruntant la petite voie d’accès à la piste défoncée. Installée dans le car avec les enfants et toute la colonie britannique papotant, je pouvais suivre son chemin très loin. Quelle ne fut pas la stupeur de tous les passagers et de moi-même de constater que la sentinelle lui barrait l’accès à la voie principale et le tenait en joue ! Nous ignorions tout de ce qui se passait.

Tout le monde était debout dans le car à suivre le déroulement de ces événements. L’angoisse m’étreignait le cœur. L’attente me parut longue et j’essayai de n’en rien montrer aux enfants. Enfin la sentinelle laissa partir Paul et je poussai un grand ouf de soulagement en me disant que de toutes façons, nous arriverions bien à nous sortir de cette fâcheuse séparation. Dans le car, on comprit qu’il s’agissait de mon mari, la conversation devint générale, on se mit à distribuer de la nourriture à Anne et à Éric.

Après avoir longuement patienté sans avoir la permission d’aller nous dégourdir les jambes à l’extérieur, nous fûmes conduits à l’avion. C’était un appareil aménagé sommairement. L’envol fut difficile par suite de la médiocrité de la piste. Un militaire se tenait penché hors de la porte ouverte et guidait le pilote en communiquant avec lui avec son micro. À la ville de X en Asie, nous fûmes accueillis avec beaucoup d’égards et de gentillesse par la communauté anglaise.

Le Haut Commissaire britannique avait contacté l’Ambassade de France à deux reprises, mais celle-ci ne semblait guère vouloir s’occuper de nous trois. Je compris vite que je n’obtiendrais pas d’aide. Pendant ce temps, les ressortissants canadiens, belges et autres étrangers étaient tous pris en charge par un diplomate de leur ambassade présent à l’arrivée de l’avion, tandis que les Anglais s’occupaient de Anne et d’Éric en les bourrant de bonbons au risque d’étouffer Éric qui n’avait que deux ans…

De bonne heure le jour suivant, je reçus la visite d’Antoine qui me fit le récit de leur propre départ de Dacca par le dernier avion. Celui-ci s’étant enlisé, il avait fallu le sortir de l’ornière et il n’avait atterri à la ville de X que vers quatre heures du matin. Les Anglais les avaient dirigés tous deux vers un bâtiment militaire où ils passèrent le reste de la nuit. Mais en se réveillant, Antoine et René s’aperçurent que leur veste contenant leurs papiers d’identité et leur argent avait été volée.

Nous décidâmes de nous rendre à notre Ambassade. Celle-ci était située dans une banlieue élégante, parmi de grandes et belles demeures entourées de parcs à la végétation luxuriante, de terrains de golf et placée sur le sommet d’une falaise surplombant l’Océan. L’Ambassade fort luxueuse nous fut ouverte partiellement dans un bureau quelconque où nous fûmes reçus par un employé subalterne. Aucune consigne n’avait été donnée pour notre cas et nous devions nous-mêmes chercher à payer notre voyage de retour pour la France

Nous quittâmes ces bâtiments diplomatiques sans aide, sans argent, sans billet de retour, moi avec deux enfants à charge, Antoine et René sans papiers d’identité.

Je redonne la parole à mon mari Paul.

Comme les cerveaux reptiliens de ma femme, d’Antoine et de René se mirent à fonctionner et leur instinct de survie fonctionnant efficacement, je vais commenter cette situation ayant éprouvé tous les membres de ma famille ainsi que deux experts et tenter d’en tirer des conclusions applicables à toute personne plongée dans des circonstances à première vue inextricables.

Mais auparavant je vais évoquer une ambiance plus reposante. Vous conduisez une voiture qui suit un camion de grande longueur qui roule vite. Le tronçon de route rectiligne défile et la visibilité est bonne. Quelque peu énervé, vous accélérez, déboîtez et vous engagez  pour dépasser ce camion. Alors que vous atteignez le niveau du milieu du véhicule, un tournant se rapproche et soudain une voiture débouche en sens inverse. Cette vision vous décide à ralentir et à vous rabattre derrière le camion dont le conducteur a maintenu la vitesse. Deux secondes plus tard, la voiture arrive à la hauteur du  camion. Vous avez réagi avec bon sens.

Quelques jours après, vous décidez sans plus réfléchir de proposer ce cas comme problème de cinématique à vos élèves. La vitesse du camion s’inscrit sur le compteur de votre véhicule avant votre manœuvre de dépassement. Mais après réflexions, vous constatez que tout le reste n’est que supputation et correspond donc à des valeurs comprises entre deux extrêmes : longueur du camion et du tronçon de route avant le tournant, vitesse du véhicule adverse et vitesse d’accroissement de ses dimensions angulaires telles que vous les avez appréciées. Ainsi vu l’imprécision des données, le problème résolu quelques jours plus tôt par vous est non seulement irrésoluble, mais encore ne peut être défini dans un contexte cinématique. Ainsi la situation était en réalité plus complexe que vous ne l’imaginiez.

Revenons à un évènement connu de tout le monde.

À Nice, le 14 juillet 2016, un terroriste déclencha un attentat avec un camion-bélier provoquant sur une distance de 1700 mètres sur la Promenade des Anglais 86 morts et 434 blessés et suscita un vent de panique parmi plus de 10.000 personnes. Franck Terrier en scooter lâcha son deux-roues et s’accrocha sur le marchepied du camion pour tenter d’entrer dans la cabine et frapper le chauffeur. Alexandre Niguès, en bicyclette, pédala vers le camion et s’accrocha à la portière pour freiner la course de ce dernier. Ces deux hommes, en s’attaquant au chauffeur, limitèrent le massacre et devinrent des témoins clés de l’attentat. Pourquoi donc plus de 10.000 personnes furent-elles saisies de panique et deux acteurs seulement réagirent avec promptitude et efficacité ?

Essayons une explication en remontant dans un passé lointain. Les amphibiens sortirent de l’océan et les adultes métamorphosés se forgèrent un cerveau apte à résoudre les problèmes posés par cet étrange milieu. Les reptiles affinèrent cet organe leur conférant un instinct de survie qui les entretint pendant cent cinquante millions d’années. Nous reçûmes cet instinct en héritage tout en élaborant un cortex cérébral dont nous sommes fiers. L’américain Benjamin Libet débrouilla l’écheveau créé par cette situation grâce à une série d’expériences mémorables entraînant une conclusion imprévue.

Habituellement notre cerveau, que j’appellerai reptilien pour simplifier, envoie au cortex cérébral un message inconscient, dont nous prenons conscience une demi-seconde plus tard. La volonté consciente d’agir peu alors retransmettre le message qui se traduit par une action avec un retard de 0,10 à 0,20 seconde. L’inconscient dicte sa loi au conscient. Lorsque les circonstances l’exigent devant une situation grave, l’instinct de survie rapide prime le libre arbitre trop lent, l’inconscient court-circuitant la volonté consciente. Cependant le libre arbitre peut se manifester en cas de refus de l’ordre inconscient (la langue anglaise très souple dit que le « free will » n’existe pas, alors que le « free won’t » existe).

De retour sur les exemples précédents, je constate que j’ai sauvé ma vie face à un bangladeshi armé et hostile non par mon libre arbitre trop lent mais grâce à la rapidité de mon instinct de survie ayant accumulé une précieuse expérience dont je n’avais même pas conscience. Ma femme et les deux experts suivirent une voie analogue. Le conducteur en manœuvre de dépassement appliqua la solution adéquate grâce à une riche expérience inconsciente accumulée dans ce domaine.

Le principal intérêt de cette constatation dans les circonstances périlleuses que la civilisation traverse actuellement réside dans les réactions du type de celles de Franck Terrier et Alexandre Niguès le 14 juillet 2016, qui limitèrent le massacre perpétré par le terroriste et servirent de témoins de l’attentat. C’est pourquoi il est impératif en France de développer l’instinct de survie des français en état de menace plutôt que de leur enseigner uniquement l’art du close combat. La prise en compte de l’apprentissage individuel de la défense des français contre le terrorisme est un impératif catégorique de notre Gouvernement.

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Chapitre IV

Évolution climatique

L’évolution climatique exige de longs développements authentifiés pour être crédibles et un exposé bref pour être compréhensible. Comme les deux exigences sont contradictoires, j’ai reporté en annexes n°1 et 2 in fine les calculs et j’ai proposé un abrégé malheureusement  très technique dans le corps de l’exposé, mais il existera néanmoins des redites. En contrepartie, on peut rétablir facilement la présentation internationale du projet.

La courbe de l’explosion démographique ne peut pas être représentée sérieusement avant l’an 1500 par manque d’information. À cette date, l’activité humaine de 0,5 Ghab (gigahabitants) était absorbée par l’environnement et la concentration de dioxyde de carbone se maintenait dans l’air à 280 ppmv (partie par million en volume), abrégée en ppm.  La terre se comportant comme à l’aurore de l’humanité, l’environnement sera dit naturel.

Les applications thermodynamiques, analysées par Sadi Carnot à partir de 1824, virent le jour et la houille devint le combustible de choix des moteurs thermiques. Le rendement de ces moteurs restait bas en raison du second principe de Carnot, mais la concentration de l’air en CO2 rejeté par la combustion resta néanmoins constante jusqu’en 1800, alors que la population atteignait 1 Ghab. Le début de l’évolution climatique date par convention en 1841 et l’essor du pétrole concurrença la houille avec succès.

En l’an 2000, la population planétaire s’élevait à 5 Ghab et la concentration de l’air en CO2 à 360 ppm. L’extrapolation de la courbe présente pour 2050 une hypothèse moyenne de 9 Ghab comprise dans un intervalle de 8/10 Ghab. Cette courbe ne cesse de croître et sa dérivée continue d’augmenter sans le moindre point d’inflexion prévisible dans un proche avenir. On peut lui associer une asymptote perpendiculaire à l’axe des temps pour chacune des branches respectivement pour 2100 et 2150.

Contre les apparences, il y a analogie dans la croissance d’un être humain et d’un arbre. L’embryon subit un accroissement exponentiel, le fœtus traverse une période de développement régulier, puis amorce une décroissance exponentielle autour de la naissance. À l’exception de l’âge adulte durant lequel l’être humain se stabilise alors que l’arbre continue de pousser avec lenteur, le processus peut se comparer dans les deux cas. Ce processus, c’est la croissance organisée.

Précisons le phénomène exponentiel sur un échiquier illustré par le problème de Sissa. Pour l’exponentielle croissante, la variable est le nombre de cases et la fonction, le doublement du nombre de grains. Alors que l’exponentielle décroissante consiste à parcourir l’échiquier en sens inverse. Si l’unité de la variable décroît, on a une hyperexponentielle, si elle croît, une hypoexponentielle. L’hyperexponenentielle  admet une asymptote. Dans le cas de l’explosion démographique, l’unité de la variable décroit de 1/3, quand la fonction croît de 2. Contrairement à l’ensemble des êtres vivants, le peuplement humain ne suit pas une croissance organisée, mais engendre une explosion sans contrôle.


Dans les années cinquante, l’O.N.U. lança la lutte contre la pollution des eaux au niveau planétaire et qu’elle concrétisa à la suite de quatre ans de travaux scientifiques et techniques coordonnés. C’est pourquoi la France, partie prenante,  édicta la loi cadre de décembre 1964 et structura six régions de développement économique adaptée, les Agences de Bassin, actuellement appelées Agences de l’Eau. Alors fut défini pour la première fois l’équivalent-habitant (EH), sous-entendu par jour et compte-tenu de son activité professionnelle, et qui correspondait à des critères précis.

Ces critères sont la consommation d’eau, la production de matières solides totales (MEST), hors dégrillage et dessablage (1/3 minérales, 2/3 organiques ; 1/3 décantables, 2/3 non décantables dans les deux cas précédents) et la Demande Biochimique d’Oxygène en 5 jours (DBO5) avec DBO21 = DCO (Demande Chimique d’Oxygène, assumant une biodégradation complète) et DCO/DBO5 = 1,50.

L’azote et le phosphore, facteurs d’eutrophisation, n’avaient pas été pris en compte et  l’aspect bactériologique, vecteur de maladies, avait été négligé,  car privilégiant comme traitement la stérilisation des boues par incinération.

Le concept de EH était légèrement variable d’un pays à l’autre et tenait compte du mode de vie. Il concernait non seulement la pollution humaine, mais aussi la pollution induite par le cheptel et par les industries agricoles et alimentaires. Il fournissait automatiquement la quantité de pollution produite, ainsi que la production à traiter par chaque partie de stations d’épuration, prétraitements, traitements primaire, secondaire et tertiaire. Il permettait de calculer les taxes imposées aux industries spécifiques, puis à la consommation d’eau d’irrigation.

Le concept d’équivalent-habitant fit passer la lutte contre la pollution des eaux superficielles du stade de l’élucubration politicienne au stade de l’ingénierie internationale et pour cette raison méritait une réflexion approfondie.

Ayant pratiqué plusieurs années ce mode de lutte contre la pollution des eaux dans une Agence de Bassin et fais de la recherche dans le cadre correspondant du Comité National de l’Eau qui regroupait les Agences, je décidai à titre personnel de généraliser ce concept d’équivalent-habitant dans la lutte contre le réchauffement climatique, pour faire évoluer celle-ci de l’élucubration politicienne à celle de réflexion approfondie. Je créai donc quatre types de EH couvrant tout le champ de la nouvelle discipline et applicable à l’explosion démographique, au cheptel, à la faune sauvage, la végétation et l’industrie.


L’équivalent-habitant énergétique (EHW) :

L’être humain standard se comporte comme une source de chaleur fonctionnant à 37°C. Au repos, sa puissance moyenne est supposée être de 100W et pondéré par l’activité, de 150W, soit respectivement de 3,15 Gigajoules/an et de 4,72 Gigajoules/an pour 2000.

À partir de EHW, pris comme valeur de base de calcul au niveau de l’année 2000, la faune équivaut à 3 fois la valeur de base, donc les êtres vivants dans leur ensemble à 4 fois. Quant à  l’activité de l’humanité fournie par la consommation de l’ensemble des combustibles énergétiques, elle s’élève à 6 fois, la planète terre en tant que EHW (à l’exception du volcanisme etc.) émet en l’an 2000 une quantité de chaleur égale à 10 fois (1+3+6) celle de la seule humanité et produit 15.000 fois moins de chaleur que celle apportée par le soleil. On conçoit que dans le cadre des échanges thermiques stricts, la solution à apporter ne soit pas urgente et que l’équilibre originel ne soit pas perturbé. Cela pouvait paraître une évidence, encore fallait-il confirmer l’approche intuitive.

L’équivalent-habitant nucléaire (EHN) :

Le DARI ou Dose Annuelle due aux Radiations Internes fut proposé en vain par Georges Charpak, lauréat du prix Nobel de physique en 1992, comme unité à côté du becquerel en remplacement du sievert/an. En première approximation, il correspond à 8.000 Bq (40K = 4000Bq, 14C = 4000Bq) émis par l’être humain standard, de sexe indifférencié, pesant 70kg, n’ayant pas fait l’objet de traitement médical ou d’un traitement sans récidive cancéreuse depuis 5 ans. Cette unité objective peut être prise comme EHN. Il existe des grandeurs objectives (mesurables) et subjectives (grandeurs objectives affectées de coefficients expérimentaux).

Nous vivons baignés dans un atmosphère radioactive naturelle, à 30% de radon, dont le renouvellement dans l’air est permanent et dont la masse  est divisée par mille en moins de 40 jours. Certaines régions de l’Inde, de Chine et du Brésil atteignent des valeurs vingt fois supérieures à la valeur moyenne de la France. Cette  valeur croît avec l’altitude, Andes et Tibet, voyages aériens, vols spatiaux. La Bretagne est très touchée, la Sardaigne faiblement. La radioactivité médicale est en croissance exponentielle et se rapproche de celle du radon.

 La période du radium, élément intermédiaire, est de 1600 ans et correspond à un élément pratiquement constant comparé à la vie  humaine. Un gramme de radium équivaut à 40.109 Bq. L’humanité (an 2000) équivaut donc à plus ou moins 1kg de radium au strict point de vue de l’émission radioactive. Le conjoint constitue la  source la plus proche de l’être humain et la plus influente.

L’équivalent-habitant, vecteur de l’effet de serre par le carbone (EHC) :

Pratiquement, l’unique gaz à effet de serre impliqué lors de la respiration est le dioxyde de carbone (CO2). L’être humain standard correspond au repos dans les conditions normales à des valeurs bien définies. La pondération par activité professionnelle par convention égale à 1,3, d’où EHC équivalant à 270m3/an d’oxygène consommé et à 240m3/an de dioxyde de carbone expiré et correspondant exactement à l’être humain de la courbe de population.

Les animaux pris en compte sont les mammifères et les oiseaux qui possèdent seuls une ventilation pulmonaire. Sommairement, le cheptel vif s’élève à un milliard et demi de bovins, autant de moutons et chèvres, un milliard de porcins, outre un milliard et demi de mammifères ou vertébrés sauvages. Provisoirement, nous avons admis 2,5 EHC pour ces animaux standardisés.

L’analyse, qui s’effectue comme celle de EHW, prend en compte successivement l’inspiration d’oxygène et le rejet de dioxyde de carbone. L’atmosphère constitue un réservoir dont la capacité est 105 fois plus importante que n’en consomme la population de l’an 2000. La consommation globale équivaut à 11 fois la valeur précédente (1,0+3,5+6,5), et le réservoir atmosphérique correspond à  9000 ans de consommation, même en négligeant le renouvellement par photosynthèse. Comme dans le cas des échanges thermiques stricts,  la solution qu’exige cet aspect du problème n’est pas urgente.

De même, le rejet de dioxyde de carbone conduit aux valeurs suivantes : 9 fois (1,0+3,5+4,5). Le réservoir atmosphérique correspond alors à 150 ans de consommation avec une durée de vie moyenne du CO2 de 100 ans, ce qui produit un cumul partiel et la teneur de CO2 s’accroît régulièrement dans l’atmosphère. Le problème doit être résolu sans délai.

L’équivalent-habitant, vecteur d’un effet de serre hors carbone (EHS) :

La teneur de CO2 dans l’air de 280 ppm entretient une ambiance interglaciaire. Il crée un effet de serre relevant la température due à l’énergie solaire de 32°C aboutissant à une température terrestre moyenne de 15°C, favorable au développement de la vie.

Outre le CO2, il existe d’autres composants, le principal étant la vapeur d’eau à l’action complexe, ainsi que plus dilués mais à fort PRG (Potentiel ou Pouvoir de Réchauffement Global), à savoir le méthane, le protoxyde d’azote et les halocarbures, outre l’ozone, variété allotropique de l’oxygène. Les ruminants par suite de leur activité digestive et contrairement à l’être humain, sont très impliqués dans la production de méthane.

Il peut être d’origine naturelle ou artificielle. La teneur de CO2 dans l’air de 280 ppm entretient une ambiance interglaciaire. Il crée un effet de serre relevant la température due à l’énergie solaire de 32°C aboutissant à une température terrestre moyenne de 15°C, favorable au développement de la vie. Le principal gaz à effet de serre naturel est la vapeur d’eau à action complexe sur le climat.

En ce qui concerne les échanges naturels, il est expédient de choisir CO2 comme modèle pour assimiler à celui-ci les gaz à effet de serre, dont la concentration atmosphérique est faible. Dans ce but, on créa deux concepts, la durée de vie et le pouvoir ou potentiel de réchauffement global (ou PRG). Le premier concept existait déjà dans d’autres domaines. Le second fut une assimilation imprécise mais indispensable à ce nouvel étalon de mesure. Pour un gaz donné, le PRG est le facteur par lequel il faut multiplier ses émissions massiques pour obtenir la masse de CO2 qui produirait l’impact équivalent à la fin d’une période fixée, le plus souvent sous-entendue de 100 ans, durée de vie du CO2.

Outre les halocarbures et l’ozone, variété allotropique de l’oxygène, deux gaz, d’origine naturelle, sont connus, mais existent dans l’atmosphère en si faible teneur, que leur concentration s’exprime en ppb (ou ppbv) partie par milliard en volume, unité mille fois plus petite que celle utilisée pour CO2. Il s’agit de CH4, le méthane, et N2O, le protoxyde d’azote, ce dernier appartenant à une famille plus vaste de composés d’azote. La durée de vie de ces deux gaz est respectivement de 12 et 114 ans et leur PRG, de 23 et 296.

Les trois courbes de concentration volumique dans l’atmosphère entre l’an 1000 et l’an 2000 éditées par le GIEC sont désormais familières. Elle montrent que la terre a réagi en limitant les rejets dans l’atmosphère jusqu’à l’an 1800. Compte tenu du PRG, l’effet de serre de CH4 et de N2O est respectivement 32 et 5 fois plus faible que pour CO2, ce qui n’est plus négligeable.

La population humaine n’est pas concernée directement par les rejets de CH4 et les animaux non ruminants, sont faiblement concernés. La production de CH4 provient de processus de fermentation anaérobie, notamment : dans l’environnement naturel, zones humides telles que marais et tourbières, activité des termites et même océans, et  dans l’environnement anthropique, zones humides telles que rizières, digestion des ruminants, décharges et déchets, biomasse et biocarburants.  Devant l’impossibilité de quantifier l’ensemble des phénomènes, nous nous limiterons à un examen partiel. Vu l’action du cheptel domestique et du troupeau des animaux non domestiqués, l’excédent atmosphérique se limiterait au rapport 4, mais vu la brièveté de sa durée de vie fixée à 12 ans, une action efficace reste encore possible.

Parmi les composés de l’azote, N2O provient de la décomposition de produits azotés : par l’agriculture et la forêt, sous forme d’usage d’engrais et de feux de biomasse ; par l’industrie chimique, sous forme d’utilisation d’acide nitrique, de fabrication du nylon ; par les transports, sous forme d’usage de pots catalytiques etc. La masse de N2O contenue dans l’atmosphère est 500 fois plus importante que la production annuelle. Cette valeur peut paraître acceptable, mais elle n’est pas négligeable, vu sa durée de vie, 114 ans et son fort PRG, 296. Quoiqu’il en soit, N2O n’est plus négligeable comparé à CH4 dans sa participation à l’effet de serre.

En conclusion, malgré l’imprécision des données, ces deux vecteurs entrent pour un pourcentage  significatif dans la formation de l’effet de serre naturel hors carbone et renforcent nettement l’action déstabilisante du CO2.

Abordons les échanges artificiels. Lorsque j’étais en poste au Niger, j’utilisais un réfrigérateur  portatif, indispensable, mais sale et dangereux, car en l’absence d’électricité, l’énergie était fournie par l’essence, et le fluide caloporteur par l’ammoniac. Les constructeurs décidèrent alors de remplacer le fluide par les fréons, produits chlorés ou fluorés d’une grande stabilité, donc supposés totalement inoffensifs sur le plan chimique.

Puis leur emploi fut généralisé aux réfrigérateurs, climatiseurs, bombes à aérosols, et leur extension à toute une gamme de produits chimiques, halocarbures, comportant eux-mêmes HFC (hydrofluorocarbures), PFC (perfluorocarbures) et CFC (chlorofluorocarbures), où les atomes d’halogène remplaçaient ceux d’hydrogène en tout ou partie. Lorsque leur emploi fut étendu, on s’aperçut que leur innocuité sur le plan chimique avait pour contrepartie une action considérable sur l’effet de serre, avec une durée de vie se chiffrant de la décennie au millénaire et un PRG compris souvent entre 5000 et 11.000, sans oublier qu’ils étaient responsables de la destruction de l’ozone dans la stratosphère.

Malgré leur interdiction par le protocole de Montréal en 1987 surtout en raison de la destruction de l’ozone, leurs propriétés maintiennent leur concentration dans l’atmosphère à un niveau stable. L’effet de serre que provoquent ces composés artificiels aux molécules complexes reste au niveau de celui des composés naturels.

Enfin, SF6 (hexafluorure de soufre), émis lors de la combustion des combustibles fossiles, possède un PRG exceptionnel de 22.000.

En conclusion, ces vecteurs entrent pour un pourcentage  significatif dans la formation de l’effet de serre artificiel  hors carbone et se conjuguent avec les vecteurs ci-dessus (CH4, N2O) pour  nettement renforcer l’action déstabilisante du CO2.


L’approche analytique met en lumière une propriété : l’œuvre  matérielle créée par l’humanité constitue un prolongement comportemental et possède des caractéristiques humaines, donc connues et applicables, qui peuvent lui être attribuées. La notion d’équivalent-habitant s’est révélée payante. On peut utiliser des critères appliquées pour les échanges de chaleur et la respiration. Les échanges thermiques stricts et l’inspiration respiratoire (consommation d’oxygène) ne posent pas de problèmes immédiats, contrairement à l’expiration respiratoire (rejet de dioxyde de carbone).

Le problème primordial à traiter en urgence au niveau mondial porte sur l’effet de serre produit par le dioxyde de carbone. Mais viennent s’ajouter les éléments à fort PRG, soit existant avant l’industrialisation comme le méthane et le protoxyde d’azote, soit nouveaux venus industriels à très fort PFG comme les composés fluorés.

 Il existe  un forçage de l’humanité de l’an 2000 sur la planète par rapport à celle de de l’an 1500 évoluant dans un milieu naturel. Mais surtout, l’œuvre humaine a eu pour conséquence de dépasser par son ampleur les effets directs produits par l’existence de l’humanité. Nous avons vu que le pouvoir multiplicateur valait 4,5, en ce limitant aux seuls rejets de dioxyde de carbone mesurés par l’unité EHC. Tout se passe comme s’il existait à côté de l’humanité réelle de 9 Ghab. une seconde humanité fictive de 40 Ghab., autrement dit l’humanité de l’an 2000 rejette 100 fois plus de CO2 dans l’atmosphère modifiée que celle de l’an 1500 dans le milieu naturel.

Ayant dégagé trois principes, l’évolution climatique s’appuie sur les points développés dans l’annexe in fine.

Contrairement à toutes les autres espèces vivantes, l’humanité a remplacé une croissance  non organisée par une explosion incontrôlée. Elle impose à la Terre un isolement progressif où l’entropie ne fait qu’augmenter et qui conduit à une évolution planétaire désordonnée transformant une situation isotherme réversible en situation adiabatique irréversible (1er principe).

L’œuvre humaine conduit à l’épuisement des ressources naturelles qui incluent : les combustibles fossiles, la couche pédologique support indispensable de la vie, des éléments du tableau de Mendeleïev … (2ème principe).

L’humanité a ajouté à l’effet de serre naturel une croissance exponentielle de la quantité des rejets polluants en fonction de l’équivalent-habitant EHc et qui relève de plusieurs domaines : humain, animal, agricole et industriel (3ème principe).


En conclusion, les anciens exemples s’appliquant à des cas relativement limités doivent s’étendre maintenant jusqu’au niveau mondial. Par les conséquences que nous induisons, nous comprenons que les djihadistes peuvent hélas saisir une opportunité extrêmement funeste. N’existerait-il pas un précurseur ? Considérons le modèle réduit climatique de Saddam Hussein.

Désirant se doter de l’arme nucléaire, Saddam Hussein comprit que parallèlement un pays comme le sien pouvait réaliser des armes chimiques et bactériologiques plus rapidement et à moindre coût. Il fit preuve d’une réaction primaire et totalement criminelle : le 23 février 1991, la veille de l’invasion de l’Iraq, il créa successivement une pollution marine par épandage du pétrole koweïtien dans le Golfe persique, puis une pollution atmosphérique gigantesque en incendiant les champs pétrolifères du Koweït.

L’Américain Red Adair comprit très jeune qu’être pompier du pétrole exigeait des compétences particulières, une technique et un matériel adaptés. Il fonda donc sa société et parcourut le monde surchargé de travail, si bien qu’à l’ombre du géant, prospérèrent bientôt sans problème des sociétés de moindre importance.

Sollicité pour clore la tragédie inventée par Saddam Hussein, il connut ses premiers déboires, car les champs pétrolifères du Koweït avec ses centaines de puits en feu renaissant sans cesse se comportaient comme l’Hydre de Lerne, serpent monstrueux dont chacune des sept têtes repoussait aussitôt si toutes n’étaient pas tranchées d’un seul coup. Il fallut donc mobiliser toutes les compétences mondiales, qui ensemble combattirent deux longs mois avant de venir à bout de ce fléau, digne du deuxième des travaux d’Hercule.

Cette catastrophe artificielle peut malheureusement soutenir la comparaison avec les grands incendies naturels contemporains : Russie, Chine, Landes en France, Sydney en Australie, Parcs Nationaux aux États-Unis, Province d’Alberta au Canada… Précisons.

En 1871, dans le Wisconsin, le long de la Peshtigo river, un incendie détruisit 500.000 ha de forêt ainsi que 16 villages, provoquant entre 800 et 1200 morts. Quoique le plus meurtrier, ce ne fut pas le plus destructeur, les Parcs Nationaux américains étant très touchés régulièrement chaque année.

À la mi-août 1949, dans les Landes, une vague de feu avançant à 10 km/h détruisit 6000 ha en une demi-heure et au total 28.000 ha créant un nuage de fumée visible à 200 km de là dans les Pyrénées et causant la mort de 82 sauveteurs.

En mai 1987, dans la province de Heilongjiang au nord-est de la Chine, un incendie détruisit plus de 1.000.000 ha, ainsi que 3 villes, dont une de plus de 20.000 hab. Le nombre réel de victimes est sujet à caution.

En décembre 2001 et janvier 2002, dans la région de Sydney, un incendie d’origine criminelle détruisit plus de 570.000 ha encerclant la ville et obscurcissant le ciel mais sans faire de victimes.

En août 2010, en Russie au cours d’une canicule sévère, un incendie détruisit plus de 800.000 ha de forêt et plusieurs villages obscurcissant le ciel de Moscou durant plusieurs jours.

En mai 2016 et au-delà, en Alberta, un incendie de forêt détruisit la ville de Mc Murray, entraînant l’évacuation programmé de 100.000 hab.

Un jour, nous étions, ma femme et moi, sur un remonte-pente de moyenne montagne, lorsqu’un individu sur un remonte-pente précèdent jeta négligemment son bout de cigarette déclenchant immédiatement un incendie sous lui. Arrivés en haut de la côte, nous nous précipitâmes vers le téléphone pour avertir les pompiers du village de départ. Ceux-ci réagirent sur le champ. Quoique bénévoles et équipés sommairement, ils circonscrivirent le feu en une heure. Cet exemple démontre qu’il est aisé de déclencher un incendie par négligence ou d’origine criminelle, mais qu’en contrepartie, une intervention rapide est le meilleur gage de succès.


Revenons à Saddam Hussein. En 1991, je fus envoyé au Bangladesh pour réaliser une étude hydrométéorologique.

Le Bengale est soumis au régime de mousson. Pendant plusieurs mois, les vents dominants soufflent de la mer vers la terre, en apportant leur cortège de pluies diluviennes au point que durant les quinze jours les plus arrosés, le volume d’eau transitant dans le delta équivaut à celui s’écoulant dans l’ensemble des cours d’eau français pendant une année. La crue culmine en août et septembre. Pendant plusieurs mois, les vents dominants soufflent de la terre vers la mer en entretenant une sécheresse sévère au point que  l’irrigation impose un rythme trop soutenu pour être équilibré.

Entre les deux saisons principales, existent deux périodes d’instabilité climatique favorable aux cyclones. Le spectacle est hallucinant : puissance du vent, toitures qui s’envolent par centaines, navires qui s’élancent hors de l’eau et s’échouent sur la terre ferme, arbres adultes qui s’arrachent du sol et se fracassent en retombant, remontée dans le delta du raz de marée qui assassine les êtres humains et les animaux et stérilise la couche arable, reflux de la vague salée qui découvre sur des kilomètres les victimes couchées côte à côte. Naturellement chaque crue, chaque cyclone entraînent dans leur sillage des épidémies favorisées par le contexte endémique de maladies telles que le choléra.

Comme je l’établis dans l’analyse des cyclones que j’entrepris, le Bangladesh est soumis à quatre saisons de durée aléatoire, les deux saisons de transition favorables aux cyclones étant incompatibles avec la saison sèche et la saison de mousson. Dans le premier cas, les cyclones se produisent durant l’extrême étiage, dans le second cas, souvent en fin de décrue, rarement au milieu de celle-ci. Les effets néfastes des cyclones et des crues ne se conjuguent heureusement pas.

Que se passa-t-il cette année durant la première saison d’instabilité climatique ? Vers la mi-mars, je fus averti que des chutes de neige de couleur grise et d’aspect graisseux, fruit de la dispersion d’aérosols pétrolifères, avaient eu lieu sur les contreforts himalayens du Népal. Je constatai que l’incendie téléfilmé des centaines de puits de pétrole du Koweït fluctuait au gré des vents dominants. Avec mon expérience des relevés météorologiques et ma connaissance du climat bangladeshi, je ressentis un décalage significatif entre les conditions de ce mois de mars et les normales climatiques saisonnières : nous traversions une période anormalement chaude.

Cet événement écologique constituait une première mondiale. Certains spécialistes avaient auparavant insisté sur la perturbation thermodynamique de l’atmosphère par de fortes éruptions volcaniques, mais ici nous nous trouvions face à un phénomène original par sa nature et son ampleur : le déplacement d’une masse d’air chaud riche en composants organiques sur cinq mille kilomètres, au cours de la saison d’instabilité précédant la mousson. L’Irak instaurait un mode de pollution, arme de guerre aux effets incontrôlables en exploitant un concours de circonstances météorologiques avec intelligence et sans scrupule.

L’analyse des cyclones mentionnée ci-dessus éveilla mon attention. Elle répertoriait en deux siècles, de 1790 à 1990, une cinquantaine de cyclones majeurs, dont le plus meurtrier à l’origine de la fondation du Bangladesh qui avait causé la mort de 300.000 personnes.

Réunissant des spécialistes, je leur expliquai qu’il allait, à mon avis, se produire un cyclone au début du mois de mai. Pour répondre à une question sur les imbrications probables ultérieures, je supposai deux hypothèses, une série de cyclones mineurs ou l’arrivée précoce de la mousson. Le cyclone qui s’abattit sur le pays le 29/30 avril 1991 atteignit presque l’ampleur de celui du 12/13 novembre 1970, reconnu comme le plus destructeur des deux derniers siècles. Puis alternèrent des cyclones mineurs et de violentes précipitations.


Rappelons les faits. Jusqu’au Moyen Âge, le monde vivant restait en équilibre biologique, l’activité humaine se dissolvant dans l’environnement terrestre.

Depuis lors, l’activité humaine a largement perturbé cet équilibre et l’être humain, dont le développement était soumis à un rythme naturel, évolue dorénavant dans un environnement artificiel et à un rythme beaucoup plus rapide qu’il a lui-même créé. Tout se passe comme s’il existait à côté de l’humanité réelle de 9 Ghab. une seconde humanité fictive de 40 Ghab., autrement dit l’humanité de l’an 2000 rejette 100 fois plus de CO2 dans l’atmosphère modifiée que celle de l’an 1500 dans le milieu naturel. Une action immédiate s’impose pour maîtriser ces phénomènes, car ni cet être humain ni son cerveau ne peuvent s’adapter aux rythmes de variation créés par son hyperactivité.

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Chapitre V

Un conte

la mallette bleue

"Où que soit le cadavre, 
là se rassembleront les vautours.
Mt 24,28

Alors qu’à la fin de la première investiture, le Président avait appris qu’il était attend d’une maladie à l’issue mortelle, assoiffé de pouvoir, il avait soigneusement caché ce drame à ses futurs électeurs. Se prétendant en pleine santé, il venait d’être largement réélu. Il avait choisi son conseillé pour réaliser ses basses œuvres, mais celui-ci se considérait au contraire comme un véritable chef d’orchestre. Le milieu politique le surnomma « le guide de haute montagne », en abrégé « le Grand Guide », implicitement pour insinuer qu’il était prêt à surmonter les obstacles les plus dangereux ou que le Président voulait atteindre les sommets.

De même que l’expression « Grand Boum », en anglais « Big Bang », donnée par dérision par Fred Hoyle, est passée très sérieusement à la postérité, de même l’expression « Grand Guide » donnée par dérision par le monde politique est passée à la postérité par l’intermédiaire du dictionnaire avec la définition suivante : « Conseiller d’un chef d’État, d’une haute personnalité, chargé de la préparation de sommets internationaux »

Devant l’Assemblée générale de l’organisme que le milieu surnommait avec mépris « le Machin », le Président prononça son discours à l’additif plein de solennité : « Le développement passe par le lancement de grands projets d’intérêt mondial capables de mobiliser les énergies au service de telle ou telle région blessée par la nature ou par la folie des hommes. L’exemple de la stabilisation des fleuves qui inondent le Pays de X, à l’origine d’une impressionnante catastrophe, fournirait la juste matière d’un premier projet de ce genre. La France, pour sa part, est prête à y contribuer. »

Imbriqué dans les fêtes somptueuses qui allait réunir du 13 au 15 juillet le groupe des neuf pays les plus industrialisés du monde, le G9, se présentait une occasion grandiose pour annoncer une mesure spectaculaire. Elle démontrerait que la France aidait avec largesse et fraternellement les pauvres de la planète. Elle s’appuierait sur une mise en scène à l’intention des dirigeants des neuf pays les plus riches et des spectateurs de télévision diffusée en direction de plusieurs milliards d’habitants.

La préparation d’un tel projet incomba au Grand Guide. À la tête d’un conglomérat, celui-ci  se rendit dans la capitale de X en plein hiver. Les bureaux d’études représentés étaient au nombre de quatre. AAA, société d’aménagement hydraulique, maîtresse du modèle réduit, BBB, compagnie d’aménagement intégré de fleuves, CEB, réputée comme barragiste, et DDD, filiale d’un organisme national pourvoyeur d’énergie. Le Grand Guide disposait pour son projet de la meilleure équipe d’ingénieurs-conseils du monde. Il fit jaillir la matière grise technique en créant le Consortium français d’ingénierie.

Le bailleur de fonds du projet, dont les crédits ruisselaient vers les pays en voie de développement puis étaient drainés par des entreprises françaises, organisme doté d’une autonomie financière, imposa un nouvel arrivant, le EOM. Ce sigle indiquait qu’il s’agissait, avant reconversion, d’un bureau d’études travaillant outre-mer, autrement dit, qu’il avait les ex-colonies africaines comme chasse gardée. Cet organisme se présentait comme une pièce inopinément rapportée après coup.

Cette situation suscita deux commentaires. Le premier est diplomatique : « On a été étonné de voir arriver le EOM, parce qu’il n’avait pas été du voyage à X, ce qui n’a pas plu à tout le monde. » Le deuxième est direct : « Le EOM n’a pas de vraies références en matière hydraulique, mais son capital appartient en partie à l’État. Il était clair que le EOM était le poulain de l’État. », sans références dans le Consortium, comme un loup dans une bergerie, par copinage de gré à gré et sans appel d’offres, en pleine illégalité.

Le Consortium devait produire un document intitulé en français « Étude de préfaisabilité pour le contrôle des inondations à X ». Telle fut l’origine du projet pharaonique français, selon l’expression ironique propagée dans les milieux internationaux. Pour comprendre le terme de préfaisabilité, passons par la notion d’ingénierie.

Le maître d’ouvrage, ou promoteur d’un projet, doit sélectionner un maître d’œuvre, ou bureau d’études, à la suite d’une procédure officielle, l’appel d’offres. Ce dernier devient  responsable des opérations qui suivent. L’étude de faisabilité, examen complet des données, compare des solutions possibles et sélectionne les meilleures. L’avant-projet, analyse complète, conduit à la sélection d’une seule solution, sous forme détaillée ou sommaire.  Il fournit les éléments aux entreprises pour réaliser un chantier. Le projet est un dossier émanant de chaque entreprise incluant un descriptif de la réalisation du chantier proposé. L’étude de préfaisabilité constituait donc une invention du Président ou du Grand Guide.

Ceci étant dit, trois études déjà réalisées sous l’impulsion d’ingénieurs-conseils parmi les meilleurs du monde et issus de quatre nations, française, italienne, néerlandaise et américaine, constituaient un outil de première main, sans équivalent sur le reste de la planète. Le Consortium n’avait qu’à puiser dans des matières premières mises à sa disposition et n’avait qu’une mission aisée de compilation, de mise en ordre et de présentation à accomplir.

Comment fut présenté le dossier d’étude ? L’aspect extérieur de la mallette bleu clair, au volume encombrant et au poids de sept kilogrammes, frappait l’imagination du premier venu. À l’intérieur, des annexes multiples exhibaient cartes de géographie, graphiques, courbes, tableaux, rehaussés par un texte anglais abondant. Un résumé constituait le seul document réellement consulté avec sa traduction intitulée « Version française du rapport de synthèse ». Par souci de clarté, les références porteront uniquement sur ce dernier document. Le dossier concluait par un texte percutant qui affirmait sans ambages :

« La présente étude de préfaisabilité montre que la protection au Pays de X contre les inondations est envisageable par un endiguement généralisé des grands fleuves, et de leurs principaux affluents et défluents. Ceci présente un changement radical par rapport à la démarche suivie jusqu’à présent, basée sur le développement de polders individuels. »

Nous avons à faire à une duperie, peut-être lourde de conséquences. Comment dissimuler un tel forfait ? Personne n’ignorait le montant exorbitant, vingt-cinq millions de francs, qui impliquait des prestations hors de pair. Il était de bon ton de ne pas parler d’étude de préfaisabilité, mais d’avant-projet, sans spécifier « sommaire » ou « détaillé ». Une telle dénomination relevait d’une  imposture technique criminelle, dans l’espoir de rendre crédible une solution qui ne l’était pas. En outre, le coût réel d’une telle étude étant de dix à quinze fois surestimé par rapport aux prestations fournies, où passa l’argent excédentaire ?

Cet imposant document fut remis officiellement avec faste. Il fut présenté par le Président aux chefs d’État ou de Gouvernement des huit autres pays du G9 dont aucun ne détecta (vous avez bien lu) la supercherie.

Sous cette apparence trompeuse, quel était le niveau réel du dossier ? L’analyse d’un phénomène cyclique de grande ampleur et couvrant une année doit s’étendre sur une durée équivalente, outre les temps morts en début et fin de campagne. La conception des États-Unis admet une mise à pied d’œuvre d’un an, puis l’efficacité américaine s’exerce pleinement ; de même pour la phase finale aboutissant à la remise du dossier. Bref, la théorie américaine écarte le chevauchement des étapes et toute l’Europe s’aligne selon ce point de vue.

La présomption française relève d’une hypothèse différente. Nos concitoyens, eux, sont capables de mener de front plusieurs tâches et d’entreprendre tout à la fois dès le commencement, ce qui entraîne un bricolage permanent et une intervention définitivement provisoire, obérant la qualité des résultats.

Limitons-nous au strict minimum et tolérons trois mois en début et fin de cycle annuel : il faut admettre dix-huit mois pour l’étude complète d’un événement hydrologique d’une certaine importance. C’est la règle d’or de l’ingénierie. Le responsable de CEB le reconnaît : « Si nous avions eu un an et demi pour la réaliser, comme c’est la règle… ».

Or que constatons-nous ? Annoncée courant janvier, entreprise début février, l’analyse fut bouclée à la fin du mois de mai, y compris la volumineuse rédaction du dossier rempli de cartes de géographie et autres documents laborieux à rédiger. En élaguant les temps morts, de quelle durée dispose la partie utile de l’étude ? Cette durée ridiculement brève n’excédant guère trois mois se situe entre le début de février et le milieu de mai durant la période la plus sévère de l’étiage : le débit des principaux cours d’eau baisse d’une manière dramatique pour les agriculteurs. Cette saison de pénurie chronique ignore toujours les inondations.

Sans état d’âme et ne connaissant pas le Pays de X, le responsable sur place issu de CEB alla visiter le terrain une seule fois et séjourner un mois et demi dans la capitale, à collecter des documents et à faire mouliner des ordinateurs. Il acheva son étude sans évidemment observer une crue. Devant un manquement si grave à la déontologie des bureaux d’études, le lecteur imagine qu’en contrepartie les ordinateurs moulinèrent l’information offerte par les documents antérieurs. Car la qualité de tout projet ne peut être supérieure à celle des données de base recueillies sur le terrain. Profonde naïveté que cette supposition!

L’étude ne portait aucune trace des études antérieures achevées sur place, qu’elles soient franco-italienne, néerlandaise ou américaine. Il faut bien se rendre à l’évidence: l’étude ignora toutes les études techniques, tous les travaux antérieurs.

Ceux qui manipulaient les ordinateurs n’étaient pas très exigeants sur la qualité du moulinage. Ils oublièrent la phase de critique des données, sans laquelle une étude ne présente aucune valeur, décidaient au sentiment, d’aucuns diront familièrement « au pifomètre », en une seconde là où plusieurs heures de réflexion se seraient avérées indispensables, inventèrent les données perdues ou non mesurées.

Bref, le responsable appliquait la méthode GIGO, raccourci américain de « Garbage in, garbage out », qui veut qu’avec l’introduction d’ordures dans un ordinateur, il n’en ressort que des ordures après traitement. Il masquait l’absence de qualité par un surcroît de volume, le fond sous la forme. Mais fut-il le seul à s’adonner à cette pratique ? Son directeur confirme le verdict : « Chaque société a eu la tentation de rajouter de la paperasse pour montrer qu’elle avait travaillé ».

En la circonstance, le Consortium prit bien soin de dégager sa responsabilité, d’autant plus qu’une approche globale lui fut interdite. Le responsable affirma : « Politiquement il n’était pas question d’aller chercher des solutions techniques hors du Pays de X. Nous le savions, c’était la règle du jeu ». Cette affirmation particulièrement grave insinuerait-elle que la conclusion était imposée avant même le commencement de l’étude ?

Le Consortium noya donc dans un pavé de documents et pour qu’il reste inaperçu le texte suivant : « Le présent rapport est une contribution aux études concernant le contrôle des inondations au pays de X, au stade de la préfaisabilité. Son degré de précision limité à cet objectif, est tributaire du délai très bref qui lui a été imparti et des données disponibles ».

Notons que cet aveu contredit la conclusion péremptoire relevée ci-dessus. On ne sait jamais : si les suites remontent jusqu’à une cour de justice internationale, que la responsabilité civile et pénale retombe sur l’instigateur en dédouanant les ingénieurs-conseils. Était-il possible que le Grand Guide ait laissé passer une telle insinuation sans réagir ? Avait-il seulement lu la version française du rapport de synthèse ? Ignorant les études antérieures fiables, réalisée au cours d’une saison inadéquate sur une durée ridiculement courte, l’étude fut bâclée, mais le Consortium rejeta subrepticement la responsabilité sur une autorité supérieure dont il tut le nom. Quelle était-elle ? Nous en sommes réduits aux hypothèses.

Dans une première hypothèse, rappelons que le Président proposa dans son discours l’exemple de la stabilisation des fleuves. Ce terme demeuré ambigu pour un profane évoque une opération générale, mais pour un spécialiste, l’endiguement constitue le principal moyen de stabilisation d’un cours d’eau. Alors s’agissait-il d’une clause de style, d’une négligence littéraire ou d’un ordre technique dissimulé ?

Dans une seconde hypothèse, l’endiguement proviendrait du jaillissement du cerveau du Grand Guide, soignant sa popularité par un style à l’emporte-pièce. Dans ses propos alternaient technique et idéalisme : « L’équivalent de Suez ou de Panama au XIXe siècle » ou alors « Notre monde a besoin de cathédrales à construire ; si l’on n’a pas de rêves fous et réalisables, le monde va périr dans le quotidien et l’ennui. ». Ce souffle épique parvint « cinq sur cinq » au Consortium, qui retransmit le message sous une apparence scientifique relevée dans la version française du rapport de synthèse.

Evoquons quelques chiffres. « Le volume de remblais des digues principales sera de 400 millions de m3. La réalisation manuelle de la totalité des terrassements nécessiterait de mobiliser une main d’œuvre de l’ordre de 200 000 personnes pendant 10 à 15 ans. ». Ce volume représente cent cinquante fois le volume de la pyramide de Kheops, seule des Sept Merveilles du monde à avoir défié impunément les millénaires. Pouvait-on trouver un tel volume de déblais sans perturbation topographique dans un delta indéfiniment plat ? Ou devait-on importer de la terre à prix d’or ?

La planète était bien témoin d’un projet pharaonique français. C’est ainsi que l’adjectif « pharaonique » dans le sens de « qui évoque les pharaons par son gigantisme » passa lui aussi à la postérité par l’intermédiaire du dictionnaire.

Arrivons-en au bouquet final, les procédés de génie civil. « L’étude des méthodes de construction a mis en évidence la nécessité de réaliser un compactage soigné qui imposera d’employer des moyens mécaniques importants. » Le Consortium suggérait nettement de faire intervenir les grandes entreprises étrangères qui possédaient les moyens de mener un tel chantier à son terme. Comme à ce stade, les capitaux provenaient des contribuables français, le procédé pour désigner les sociétés françaises manquait de finesse.

Le Consortium mit un bémol en terminant par le service après vente. « Les digues doivent être soigneusement entretenues. En effet, les conséquences d’une rupture seraient beaucoup plus graves que celles des inondations actuelles. » Vous avez bien lu : le remède était pire que le mal. Après le départ des constructeurs de digues, les habitants du Pays de X auraient dû assumer, telle fut la règle du jeu, la charge et le risque de l’entretien, sans avoir reçu ni formation ni budget pour le faire. Ces deux phrases assassines stricto sensu noyées dans le corps du texte remplaçaient l’étude d’impacts d’aménagement absente au mépris de toutes les réglementations, nationales et internationales.

Et si nous parlions du coût de l’opération ? Les contribuables français auraient dû subir une ponction de l’ordre de dix milliards de dollars sur leurs économies. Cette prévision ne comprenait pas les frais annuels indéfinis de maintenance des ouvrages. Cet argent aurait transiter par des intermédiaires de tout bord qui auraient prélever leurs bakchichs au passage et serait revenu dans les caisses d’entreprises françaises bien intentionnées. Dans quel but technique ? Afin d’aggraver la situation actuelle.

Comment en arriver là ? L’étude avait pour objet, titre oblige, la protection contre les inondations. Or elle n’avait jamais prévu d’alternative à l’édification de digues. Un responsable le reconnaît : « Nous n’avons pas travaillé sur d’autres possibilités [que l’endiguement], car ça nous paraissait une réponse appropriée au problème posé. Mais peut-être nous  sommes nous trompés ».

Le titre même constituait donc un abus de langage : il ne s’agissait que d’une étude d’endiguement. Aussi invraisemblable que cela paraisse, le Consortium étudia une solution en écartant a priori les autres, puis conclut cette solution seule recevable. Une telle démarche ignorait la science ; en termes de logique, elle se nomme cercle vicieux ou tautologie.

L’équipe évita tout droit de regard sur l’œuvre ainsi produite dans le cadre d’un marché de gré à gré. Elle écarta sans le moindre scrupule les actions indispensables sur le plan réglementaire : l’étude d’impact des aménagements, accessible au public, et l’étude d’évaluation du dossier, réalisée par un organisme indépendant.

Quoi qu’il en soit, nœud de l’affaire, tout fut paré pour les fêtes somptueuses qui allaient réunir du 13 au 15 juillet le groupe des neuf pays les plus industrialisés du monde, le G9 et présentaient une occasion grandiose pour annoncer une mesure spectaculaire.

Dans la partie de poker qu’il jouait, le Grand Guide du Président bluffa. Il tenait en main une étude de préfaisabilité incomplète et annonça un avant-projet. Comme un illusionniste accomplit son tour de prestidigitation face au public sous un grand chapiteau, il fit présenter son œuvre  devant le parterre des hommes d’État les plus prestigieux du monde qui s’attendaient sans faire preuve de jugement à une proposition au-dessus de tout soupçon.

D’une part, CEB venait d’être l’ingénieur-conseil d’un barrage qui s’écroula en entraînant la mort de quatre cent quarante personnes. Le Grand guide et peut-être le Président n’ignoraient pas que cette étude sabotée risquait de provoquer des centaines de milliers de victimes. D’autre part, EOM, sans avoir de vraies références en matière d’hydraulique, ayant partie liée avec l’administration, était le poulain de l’Etat.

C’est pourquoi la conclusion de l’étude de préfaisabilité, sous forme ambiguë, d’une part recommanda fermement une seule solution, les endiguements, d’autre part, reconnaissait l’indigence de ses arguments. Prisonnier d’une méthode, le Consortium se prostitua en avalisant la décision, mais dénia toute responsabilité et plaida non coupable.

Comme un frémissement d’indignation se faisait enfin sentir dans le milieu international, le Grand Guide préféra se faire nommer directeur d’un prestigieux organisme européen et confia l’affaire à son adjoint, qui chercha un pigeon pour endosser l’objet du délit, en la personne du promoteur du projet franco-italien mentionné ci-dessus, en lui confiant pour mission de tout reprendre depuis le début.

Arrivé sur place, celui-ci eut la désagréable surprise de s’entendre dire par le résident que sa seule mission était de signer et parapher l’étude de préfaisabilité en tant qu’auteur, ce qui provoqua son indignation et son refus d’obtempérer. Profitant d’une absence momentanée  du promoteur, le résident envoya un sbire qui s’introduisit dans son domicile en menaçant le gardien qui s’opposait à cette intrusion et en volant documents d’identité, passeport et billet d’avion de la famille du promoteur . Puis le résident fit connaître que l’objet du vol ne serait restitué qu’après signature et paraphe de l’étude de préfaisabilité.

Le forfait étant particulièrement grave, le promoteur porta le conflit devant le consul de France, habilité pour rendre justice hors métropole. L’antagonisme entre le Consul et le résident était portée à son comble par suite de l’illégalité avec laquelle agissait le résident depuis son implantation dans le Pays de X. Contre tout attente, le différent fut donc réglé avec célérité. Le promoteur reprit l’avion de retour, non sans avoir au préalable confisquer tous les documents compromettants dans cette sombre affaire et rédigea l’histoire de la mallette bleue.

L’ancien Grand Guide fut limogé de son nouveau poste pour détournement de biens publics et trafic d’influence. Il survécut au Président et il est régulièrement convié devant les médias à exposer ses idées fulgurantes en tant que spécialise avisé des évènements internationaux. Il se croit toujours chef d’orchestre et même stricto sensu, n’ayant pas hésité à diriger un orchestre et à jouer  des valses de Vienne avec la complicité d’une chaîne nationale de télévision.


Je reviens à la réalité et reprend la parole. Auteur pessimiste, j’ai peint un tableau en négatif, une sorte de Guernica du pouvoir, une ambiance tragique qui n’existera jamais pour notre pays, car nos politiques sont beaux et intelligents, compétents et intègres. D’ailleurs, un tel tableau ne pourrait être représentatif, car un régime dominé par de telles pratiques serait condamné au rejet à brève échéance.

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Chapitre VI

Les programmes d’ingénierie

 Nous proposons la liste commentée de programmes de d’ingénierie internationaux, nationaux et régionaux à raison de la mise en place d’un par trimestre dans la première moitié d’un quinquennat, compte tenu de l’information des chapitres  précédents.

  • Programme 1

L’Université Inter-Âges du Dauphiné démontre qu’une association privée ayant pour mission l’enseignement des adultes peut fonctionner des décennies avec des milliers d’adhérents et un budget modique en équilibre tout en se hissant à un niveau international. Le Gouvernement doit favoriser et non contrer la création d’un enseignement analogue dans les villes de France qui le souhaitent, en jouant sur le volontariat avec la participation d’un organisme tel que l’Académie des Sages de France mentionné par ailleurs.

  • Programme 2

S’inspirant de l’introduction en France par Bonaparte d’une géométrie différente de celle classique de la règle et du compas, une pratique pour les élèves de l’école primaire consiste à établir avec des moyens surabondants une géométrie moins contraignante pour les jeunes cerveaux, la géométrie de la règle, du compas et du rapporteur, sans compter paires de ciseaux, crayons de couleur, carton et colle. Avec l’aide de l’instituteur, les élèves s’amuseront à établir des cercles roulant les uns sur les autres comme Blaise Pascal, cet effrayant génie, puis passeront à la vérification avec la projection de la lumière sur le plafond et les murs de la salle de classe,  aussi bien qu’avec l’examen d’une roue de bicyclette en mouvement ou celui d’un petit déjeuner …

  • Programme 3

L’enfant très jeune assimile sa langue maternelle avec une vitesse qu’aucun adulte n’est capable de soutenir, au point de la comprendre en quelques semaines et de la parler en deux ans, sans professeur et uniquement en observant et en imitant. L’enseignement des langues vivantes au lycée viole ces principes incontournables. Il est prodigué sur des sujets à l’adolescence, la période la plus réfractaire à l’assimilation. Il est basé sur la traduction et apprécié ou noté selon des critères jamais définis, alors que la traduction est un exercice   difficile, par exemple celui des traducteurs de l’ONU. Il favorise l’écrit et non l’oral, alors que la sagesse populaire désigne sous ce vocable simultanément le langage et l’organe qui le produit. Les langues seront abordées au niveau de l’école primaire, puis durant le cursus au lycée dans le Cadre Européen Commun de Référence des langues.

  • Programme 4

L’infrastructure avec organisme centralisateur, agences de l’eau, unités et sous-unités de développement,  existe déjà et ne demande qu’à être complétée et modernisée. Elle servira de cadre à de nombreux programmes. La première initiative à prendre consiste à établir une bibliothèque sur la protection contre les crues, première cause mondiale de catastrophes, dont le contenu des connaissances a été défini au niveau du chapitre II et qui sera centralisée pour l’apport des connaissances et ventilée pour leur consultation.

  • Programme 5

L’infrastructure étant modernisée et l’information disponible, un plan de protection contre les crues des villes situées le long des cours d’eau sera mis en place, compte tenu de la situation existante qui ne part pas de zéro pour certaines d’entre elles. Il s’agit d’obtenir une planification nette de l’action à entreprendre, non une réalisation lourde. Cependant en urgence, s’impose un nettoyage vigoureux du lit des cours d’eau et des atterrissements autour des arches des ponts, ainsi que des retouches locales systématiques des berges, sans aller jusqu’au recalibrage du lit. Paris et certaines villes n’entrent pas dans ce cadre.

  • Programme 6

La protection de Paris contre les crues par l’édification d’importants ouvrages est trompeuse et la gestion de quatre ouvrages à but multiples et souvent contradictoires est si délicate qu’elle risque d’aggraver les phénomènes au lieu de les réduire. Il convient de définir la région parisienne hydrologique. La protection contre les crues de la Seine doit imposer une planification à long terme qui intègre la crue centennale de référence, une marge de sécurité, la vitesse de montée et descente des eaux, la mise en place de modèles réduits. Mais s’avèrent urgent un nettoyage vigoureux du lit du fleuve et des atterrissements autour des arches des ponts de la capitale et la construction de plans hors d’eau à des cotes règlementaires pour la sauvegarde de nos trésors artistiques abandonnés par incurie en zones inondables. La catastrophe de Florence doit servir d’exemple à Paris.

  • Programme 7

Les fleuves côtiers de la Méditerranée entre l’Italie et l’Espagne méritent une attention spéciale pour trois raisons. La première est qu’un énorme travail sur l’aménagement de vallées a déjà été entrepris et que nous ne pouvons interrompre une telle action. La deuxième est que les habitants de cette région s’intéressent de près à ce problème et que plusieurs d’entre eux ont fourni une précieuse information par repérage de pointes de crues. La troisième est qu’un tel programme d’aménagement de vallées peut servir d’exemple aux autres fleuves côtiers français (Adour, Bretagne, Normandie).

  • Programme 8

La France reste absente du réseau de voies fluviales à grand gabarit qui dessert les Pays Bas, la Belgique, l’Allemagne et l’Europe Centrale jusqu’à la Mer Noire, parce que le Canal de Compiègne à Cambrai construit par Napoléon fut rendu caduc par le progrès technique. Ainsi le projet Seine Europe du Nord est devenu un véritable serpent de mer agitant le monde politique qui aurait pourtant besoin de réalisation pour redorer son blason. Les études au niveau de l’ingénierie étant pratiquement achevées, il devient urgent de matérialiser le plus grand projet du monde dans son domaine.

  • Programme 9

Dans le années soixante, l’ONU lança la lutte contre la pollution des eaux de surface au niveau planétaire, la France étant partie prenante. Cette initiative fit évoluer l’action du stade de promesse politicienne jamais précisée à celui de réalisation technique achevée. La  généralisation de la méthode fait aussi évoluer le réchauffement climatique du stade du rêve politicien à celui de réalisation concrète dans le cadre de l’ingénierie internationale. Ce projet est aussi simple que le bilan thermique des apports et des déperditions d’un chauffage central d’immeuble à la portée de n’importe quel potache. Les calculs aboutissant au réchauffement climatique sont simplement plus longs.

  • Programme 10

Vis-à-vis d’un danger imminent, il existe deux catégories d’individus, ceux qui dominés par la panique n’agissent pas ou à contretemps et ceux qui réagissent sur le champ et opportunément. La majorité des français semblent appartenir à la première catégorie tandis que certains privilégiés entraînés par les hasards de la vie appartiennent à la seconde. L’attentat terroriste de Nice le 14 juillet 2016 créa un véritable cas d’école  où plus de dix mille individus se laissèrent dominer par la panique  et deux privilégiés  réagirent avec célérité et opportunément. Il s’avère impératif de favoriser officiellement les créateurs d’organisme développant l’apprentissage de la survie dans l’ambiance de terrorisme latent dans laquelle nous baignons.

  • Que conclure ?

J’ai montré à l’aide d’un nombre restreint de chapitres que les dix programmes de développement se présentaient isolément ou en petits groupes. Je laisse à d’autres, n’étant pas président, le soin de réaliser le programme le plus productif, celui de la réduction de moitié du gaspillage de la société française qui détruit elle-même la moitié des richesses produites. La réalisation de ce programme  conduirait à élever d’un quart  le niveau de vie moyen sans pour autant produire davantage.

Mais la véritable conclusion, celle du document, la voici : À qui pourrais-je comparer une nation qui refuse de réaliser de grands projets ? À Edgar A. Poe, ce génial alcoolique, marchant dans une rue de Baltimore.

Il faisait nuit. Devant lui s’étendait confusément le trottoir, que surplombait un mur sur sa droite et que limitait un caniveau sur sa gauche. Edgar A. Poe marchait en oscillant. Il n’allait jamais droit dans le mur, mais le choc latéral le renvoyait inexorablement vers le caniveau. Il marcha longtemps. Au petit matin blême, il fut retrouvé mort dans le caniveau, terrassé par une attaque de délirium tremens.

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